Rio et le carnaval
### du 17-01-2012 au 25-02-2012
Donc on part pour Rio, en fin de compte. C’est vrai que ce serait un peu dommage d’être si près de ça, juste un événement mondialement connu, et partir dans la direction opposée. Ça arrive qu’une fois par an, ça tombe pile dans mon tour du monde sans que je l’aie vraiment prévu, en fin de compte c’était le destin.
Chez Victor à Sao Paulo, on rencontre Ignacio, un autre ami de Céline avec qui je sympathise bien, du genre à bien aimer le voyage et les trips de partir trois jours dans la nature avec son sac ou son vélo. Il nous accompagne vers Rio où il a des amis qui peuvent nous loger. On est un peu les uns sur les autres dans ce petit appartement de Niteroi, une banlieue un peu à l’extérieur de Rio, mais déjà je suis habitué aux auberges de jeunesse et la gentillesse de l’hôte est pour moi plus précieuse que la qualité de l’hôtel. J’avais bien sûr déjà rencontré des brésiliens, mais ça restait souvent assez bref, là j’ai un peu plus le temps de parler avec eux, de voir ce qu’ils aiment ou n’aiment pas comme musique ou nourriture, de demander comment un brésilien se considère, ancien colonisé, nation à part entière qui pousse dans le terreau du métissage des cultures et des gènes, etc…
Rio, ma grande, je savais qu’on se reverrait. Des villes comme Rio ou New-York, ça me fera toujours plaisir d’y revenir. Là, je la vois d’abord de nuit, à Lapa encore une fois. Lapa, ça a pas changé depuis qui j’en suis parti au milieu de la nuit avec les autres de l’auberge, c’est un quartier où la nuit est fête, bars parfois payants à l’entrée, bière un peu moins chère si tu la prends dans la rue aux vendeurs ambulants, un peu partout dans la rue, qui les conservent dans des grandes boîtes en polystyrène avec de la glace. Quelques boîtes de nuits dans les rues adjacentes, des percussionnistes sous les arches de l’aqueduc qui traverse la plus grande place, toilettes publiques infectes, genre toilettes de chantier, des ordures partout, des vendeurs de hot-dogs, et un monde pas possible qui traverse, qui danse, qui boit, ou qui observe, c’est la recette de Lapa. Un dernier ingrédient important, la police bien présente, tout le monde dit que Lapa est un des quartiers les plus sûrs pour faire la fête, et c’est vrai que malgré le bordel et l’alcool qui coule à flot (ce serait intéressant de calculer le débit de litres de bière à la seconde qui coule dans les gorges des teufeurs de Lapa) on s’y sent pas trop mal.
Le deuxième jour, c’était pas calculé comme ça, mais je passe un des plus beaux moment de ma vie. Les autres vont à la plage pas loin de Niteroi, moi je tiens plus, il faut que j’aille voir Rio, je dois les rejoindre vers 20h00. J’arrive dans le centre où il y a déjà foule, des gens déguisés, qui marchent d’un endroit à un autre, qui mangent, qui boivent, qui se reposent de la veille. Je descends vers le quartier de Flamengo. Là je tombe sur une petite place, en forme de rond point, au milieu une grande statue avec des estrades, des gens partout, un gros « blocos », sorte de petit camion qui avance lentement au dessus duquel jouent des musiciens, le camion est un ampli géant, tout le monde suit le blocos en dansant. Ils sont heureux, ils s’amusent, déguisés majoritairement, moi je fais un peu touriste avec mon sac à dos. C’est comme ça que je m’imaginais le carnaval de rue à Rio, une bonne ambiance, joyeuse, très active, intense. Je suis le blocos jusqu’à la sortie de Flamengo en regardant les déguisements souvent assez originaux et amusants, les femmes qui dansent. Une fois je dépasse le blocos en passant près des amplis, mon corps vibre tout entier, les basses qui sont émises vers le sol créent une sorte de vent que je sent passer sur mes pieds.
Botafogo est assez mort, je me dirige vers Copacabana puis je m’arrête à la pointe d’Arpoador pour voir le coucher de soleil le long d’Ipanema. Il est déjà presque 20h00, je me rends compte que je suis en retard, il faut que je trouve une carte téléphonique pour appeler mes amis et leur dire qu’on ferait mieux de se retrouver directement en ville, parce que pour moi c’est sûr je reste là, l’agitation commence, quitter Rio c’est plus possible. Commence la galère. Pas possible de trouver une carte téléphonique, on est dimanche, j’essaie tout, enfin pas possible de les joindre, au bout de deux heures à parcourir Ipanema pour trouver une solution, je tombe sur un brésilien, un carioca (les cariocas sont les habitants de Rio), super sympa, on se paie une bouteille de vodka ensemble, c’est là que je décroche, je verrais les choses sérieuses demain.
Ipanema pendant le carnaval, à 21h00 déjà les gens sont majoritairement saouls. Il y a une foule immense à certains endroits au bord de la plage et dans certaines rues. Parfois de la musique, des petits groupes de gens déguisés qui jouent des percussions assez originales ou des sortes de boîtes de nuit sauvages, plus classiques. C’est un peu, pour beaucoup, le début de soirée carnaval, et pour d’autres, j’en ai vu à 23h00 faire des malaises dans la rue. C’est la folie quoi. Avec mon ami carioca on boit tranquillement notre bouteille, puis quelques bières, on parle un mixage de portugais, de français (car il parle un peu français), d’anglais et d’espagnol, c’est assez amusant, mais parfois ça perturbe un peu de passer d’une langue à une autre, surtout après une bouteille de vodka. Aux environs de 3 ou 4h00, Ipanema commence à être vraiment mort (ça se vide déjà bien à partir de 23h00), lui part pour un concert à une heure de route d’ici, je décide d’aller finir ma nuit à Lapa, pour changer, mais c’est certainement le seul endroit qui fait la fête jusqu’au lever du soleil.
Dans le métro je titube un peu, mais ça se voit pas, en fait tout le monde titube, si tu marches droit ça fait bizarre. Je sors rue Rio Branco où tout est déjà mort, tentes de vendeurs de hot-dogs vides, vendeurs ambulants qui dorment sur le trottoir, je suis rassuré en arrivant près de l’aqueduc de Lapa, je commence à voir des gens vivants, j’entends les percussions, c’est reparti pour un tour. Une petite bière ou deux pour se déshydrater, et je suis dans les percussions à danser, je m’éclate, à côté de moi un mec assis dans la foule, la tête dans les mains, qui essaie de gérer son malaise.
Le jour se lève, je suis toujours en train de danser avec quelques irréductibles autour du dernier groupe de percussions de Lapa. Je commence à taper la discut’ avec un mec qui a une allure d’irlandais-clochard. Mais très sympa, il pense que je suis un carioca, il me demande pourquoi je parle anglais, c’est drôle, je lui assure que je suis français et il ne me croit pas, le plus fort c’est que lui-même est un carioca. On forme un groupe de discussion en buvant une bière, viennent s’ajouter un australien hippie qui nous dit que c’est de notre faute si le monde est pourri, il avait l’air de planer très haut à ce moment-là, et deux autres brésiliens. Je discute surtout avec un des deux autres, un autre carioca, qui lui aussi me demande pourquoi je lui parle en anglais, il pense que je suis d’ici, j’en reviens pas, je suis quand même fier qu’on me prenne pour un local mais je préfère ressembler à un français.
L’irlandais carioca me mène à un petit bar, on prend un petit dej, je bois un café, normalement pour moi c’est après le café que s’arrête la picole. Mais d’autres de ses amis débarquent, commandent des bières, ils m’en proposent, je dis non deux fois puis après j’abandonne. Puis on discute, ce sont des musiciens, des gens super cool, super intéressants, super stylés, et je me rends compte encore une fois que je suis au Brésil, là, en train de discuter avec des gens du cru, des musiciens en prime, au petit matin, en plein milieu de Rio, c’est juste génial, juste trop bien. On joue un peu de musique, je discute de blues avec un mec, alors je lui sors mon harmonica, je joue un peu, il adore, puis la guimbarde, tout le monde me regarde avec des gros yeux, ils ont jamais vu cet instrument. J’en joue un peu puis tout le monde veut essayer, ils sont contents, ils me donnent des adresses de petits concerts libres pour ce soir où je peux les y retrouver, malheureusement je pourrais pas, une fille me demande étrangement mais avec sérieux si je suis intéressé pour rester quelque temps au Brésil, comme si elle avait une solution à me proposer, je lui explique que je suis pas encore prêt pour m’ancrer quelque part. J’adore la vie !
J’avais complètement oublié, habitué à voyager seul, j’avais complètement oublié l’histoire d’hier soir, mes amis que je dois rappeler. Tout le monde se quitte, on me salue comme si j’étais un vieil ami (c’est assez fréquent au Brésil), je pars acheter une carte téléphonique, je trouve une cabine, cette fois ça marche, je me fais un petit peu engueuler.
On doit se retrouver à Ipanema pour aller se baigner, l’eau est super froide mais ça me fait trop du bien, à moi et à mon cerveau qui avait très mal. On y passe la journée, la troisième soirée on se la joue cool, je m’écroule dans mon lit en rentrant.
Le lendemain, départ vers Petropolis, à environ une heure et demie en bus au nord de Rio. C’est la ville d’origine d’Ignacio et des gens qui nous logent à Rio. C’est aussi la ville où venait se reposer l’empereur Pedro II pour prendre le frais. C’est une petite ville calme, propre et charmante. Mais c’est quand même carnaval. On mange un barbecue chez l’oncle d’Ignacio avec son frère et des amis à lui. Puis on sort, c’était pas prévu non plus, on tombe devant un stand qui vend des déguisements alors on décide de faire la parade. Déguisés en clowns, on part dans le défilé avec ceux qui ont le même déguisement que nous. C’est marrant, c’est assez étrange, on doit rester en groupe, il y a des gens qui nous canalisent pour éviter qu’on se disperse, on passe au milieu des estrades, les gens nous regardent danser, en arrivant à la fin du défilé on s’arrête et on rend les déguisements. C’était énorme. Je pense que c’est un truc que j’aurais jamais fait tout seul, c’est sûr, et peut-être pas non plus si j’avais pas été avec des gens du coin. Pour ça je remercie mes amis de Rio et de Petropolis, c’est un souvenir inoubliable.
Après ça on va se baigner dans les chutes d’une rivière dans un parc naturel pas loin. Ignacio connaît des petits trucs, comme une caverne cachée sous une petite chute qui emmène dans un petit tunnel naturel qui ressort vers l’extérieur, je tends ma main au-dehors pour m’accrocher, des gens qui passent à côté croient à un mort-vivant qui sort de terre, c’était marrant. On est maintenant à Adamontina, chez Victor à nouveau, à 8h00 en bus au nord-ouest de Sao Paulo. On doit y rester deux jours puis partir vers Foz de Iguazu, à la frontière avec l’Argentine.
Quoi dire d’autre à propos du carnaval ? En France on a l’image cliché des grosses écoles de Samba qui défilent avec des gros chars, des déguisements inimaginables et magnifiques, c’est pas ça que j’aurais vu. Même si j’aimerais le faire un jour, le problème c’est que c’est payant (ça se passe dans un espace clôturé) et il vaut mieux réserver à l’avance, donc là c’était raté. Ce que j’en ai vu, les gens de Rio ne l’aiment pas généralement, mais pour moi ça a été une expérience unique et géniale. C’est vrai qu’en gros, le carnaval de rue, libre, peut ressembler la plupart du temps à une beuverie géante, les gens ne se contrôlent plus trop, il y a des déchets partout, les gens pissent sans gêne dans la rue, ça sent mauvais, c’est très bruyant. C’est pour toutes ces raisons que beaucoup de cariocas n’aiment pas le carnaval, beaucoup même vont le passer ailleurs qu’à Rio pour être plus tranquilles. Mais il y aussi les blocos l’après-midi qui sont relativement plus tranquilles, sympas à voir et dans une bonne ambiance. Pour être une fête traditionnelle brésilienne, je pense que la plupart de ceux qui y participent ne sont pas brésiliens, c’est ce qui donne au début une impression de fête commerciale, devenue artificielle, mais on oublie vite. On dit que les interdits, les différences de classes, les inhibitions, tout ça tombe pendant le carnaval, ça fait partie de la mentalité de la fête. C’est vrai que j’ai eu l’impression que les gens étaient assez ouverts, mais déjà les cariocas m’avaient donné cette impression quand j’y étais venu avant le carnaval, ce qui m’a surtout marqué c’est l’ardeur avec laquelle les femmes se permettent de fixer les hommes, ou même de venir les aborder, j’ai bien aimé ce côté-là aussi bien sûr.
En bref, le carnaval c’est vraiment un truc à faire, c’est inoubliable, qu’on soit seul ou en groupe, il faut juste connaître un peu les bons endroits et les bons moments. Peut-être que le bon plan c’est aussi de penser à réserver au moins une journée au défilé payant, mais là je peux pas dire. En tout cas, c’est immense, intense, incomparable, inimitable, c’est le carnaval de Rio quoi, les mots me manquent… Le seul truc que je regrette c’est de pas avoir pris mon ipod avec moi, j’avais peur de me le faire voler, en tout cas j’aurais pas été tranquille si je l’avais eu tout le temps avec moi et je me serais peut-être moins éclaté. Donc j’ai pas de photos mais j’en aurais peut-être bientôt, d’autres qui en ont pris, et puis de toute façon les meilleurs souvenirs sont dans la tête, le seul problème c’est qu’on peut difficilement les partager.
Quelques photos du Carnaval