Retour à la maison
d'avril à juin 2023
Je savais que j’avais déjà fait les pays « faciles », au moins en termes d’accès, et je me tâte d’abord à partir vers la Chine mais les visas ne s’obtiennent que depuis l’Ambassade dans son pays d’origine. Je me rends compte que c’est un peu pareil pour l’Iran, que j’ai en tête de visiter depuis très longtemps pourtant. Pour le reste, entre le coût des billets globalement élevés, le temps de voyage parfois très long et l’intérêt plus ou moins grand que je porte aux pays en question, je finis par me décider à aller en Turquie, un bon compromis.
C’est certain que je voulais avoir au moins un aperçu du Moyen-Orient, où malheureusement beaucoup de pays sont pas trop visitables en ce moment. La Turquie, c’est cool, et je suis vraiment agréablement surpris au départ en me promenant dans Istanbul, de retrouver ce plaisir simple de flâner tranquillement dans une grande ville inconnue. Faut dire que pendant mon dernier voyage en Asie j’avais toujours eu à affronter les tuk-tuks, vendeurs de tout et de rien, parfois seulement des regards curieux, et de toute façon le chaos ambiant fait qu’on peut pas vraiment se laisser aller à divaguer dans ses pensées tout en découvrant parcs publics, ruelles commerçantes et monuments historiques.
Istanbul est aussi une ville qui me fascine depuis longtemps, fondée par les Grecs, devenant capitale de l’Empire Romain d’Orient, puis de l’Empire Ottoman. Mais j’ai malheureusement eu du mal à sentir toutes ces couches d’Histoire, même pendant la visite de la fameuse Sainte Sophie, j’avais de la peine à imaginer que tellement de choses se sont passées là sous mes pieds, je sais pas trop pourquoi.
Et la Turquie est pleine de sites historiques Grecs, Romains, Byzantins… qui m’ont tous plus ou moins laissé la même insatisfaction globale. Je crois que seulement dans la Cappadoce, en randonnant au milieu des maisons troglodytes abandonnées, sortant un peu des sentiers pour trouver un paysage à peindre, je suis tombé sur une porte creusée dans la roche avec seulement quelques parties du linteau où avaient survécu des morceaux de peintures sacrées. La porte est scellée, les visages de la peinture ont été grattés. J’imagine que ça été un endroit de réunion pour les habitants locaux, puis les tourbillons des fois et des civilisations sont venus creuser, ajouter, retirer, jusqu’à l’abandon actuel.
Étrangement aussi, la Turquie étant un pays relativement facile à parcourir, assez facile de se faire comprendre, agréable, confortable, je suis un peu troublé par le fait que tout me semble neutre. C’est vrai, en Inde en comparaison j’ai adoré certaines choses et détesté d’autres, ici même la nourriture me paraît bonne, mais sans plus. Et en discutant avec d’autres voyageurs du Laos, du Cambodge ou du Vietnam, j’ai toujours une chose à dire. Je sais pas si j’aurais quelque chose à dire sur la Turquie, à l’exception de la Cappadoce, et encore. Quand on me demande, jusqu’à maintenant je réponds que c’était cool, puis j’ai du mal à en dire plus.
Depuis la Turquie je voulais aller au Liban, avant de me rendre en Israël, mais je me rends compte qu’il faut couper à travers la Syrie. Déjà que le nord Liban est pas trop conseillé, je me décide à prendre un avion directement pour Tel-Aviv, ce qui est un peu triste en soi, à mon sens. Mais je suis très content d’arriver, je retrouve dans cette ville une énergie créative et une atmosphère tranquille qui me rappelle Melbourne. En vérité c’est un gros mélange entre les quartiers d’artistes New-yorkais avec ses boutiques pas ordinaires, petits cafés ou restos et ateliers d’artisans, le Venice beach de Los Angeles pour le côté plage, une grande bande piétonne/rollers/vélos bordée de terrain de volley-ball très fréquentés, avec en toile de fond une ambiance moyen-orient très présente aussi, avec ses boutiques d’alimentation pleines d’épices qui me rappellent la Turquie par exemple.
Je voulais au moins visiter Jérusalem aussi, bien entendu. Ambiance bien différente, assurément. La vieille ville m’a donné la même sensation que quand j’ai visité Venise, où d’abord je me suis dit que c’était plutôt une destination de couple. Je pensais que Jerusalem était une destination de croyants, ce qui est pas faux non plus. Mais de se promener dans ces ruelles piétonnes, bordées de vieilles bâtisses à l’architecture unique, l’ensemble remarquablement préservé, au point de plus se rappeler dans quelle époque on vit, c’est une expérience que j’ai pas connu souvent dans ma vie. Enfin, ça fonctionne si on arrive tôt ou qu’on va dans des endroits pas trop fréquentés des touristes.
Après Israël, je me décide à partir vers l’Italie. J’aurais bien voulu voir plus du Moyen-Orient, mais je me dis que j’ai au moins vu deux perspectives intéressantes de ce monde particulier, pas forcément trop adapté à mon type de voyage en sac à dos pour le reste.
J’arrive donc en Sicile, où après avoir visité deux pays aux alphabets bizarres, je me sens comme à la maison. J’ai même pas trop de mal à comprendre quand les gens me parlent, et vu que les logements sont assez chers, même en auberge de jeunesse, je me retrouve souvent dans des endroits paumés ou des hébergements où on ne parle qu’italien et ça se passe assez bien. Mais oui, en tout cas, je saurais pas trop comment l’expliquer, peut-être à cause du covid où de l’inflation due à la guerre en Ukraine, mais parfois les auberges affichent des prix hallucinants, au point que je reste généralement peu de temps dans chacun des endroits que je visite.
L’Italie est pourtant agréable à visiter, et son histoire riche s’y reflète bien. Je me tente même à y rester, surtout à Bologne où j’apprécie particulièrement l’ambiance créative, épicurienne, cyclable. Mais la boulangerie y est pas aussi développée que je le pensais, ou du moins d’une manière différente, alors je me rends compte que j’y ai pas forcément ma place.
Je me dirige donc vers le Sud-Est de la France, parce que c’est logique venant d’Italie, mais aussi parce que je me suis souvent rendu compte en voyageant de par le monde qu’il y a certains pays que je connais finalement mieux que le mien. C’est vrai, j’ai jamais mis les pieds à Nice ou à Marseille, donc je me dis que c’est l’occasion de le faire.
J’avais un peu une vision négative de Nice, et je commençais à être pas mal intéressé par Marseille. Au final Nice a été une très bonne surprise, très vivante, colorée, beaucoup de musique dans les rues, Marseille au contraire assez décevante. De toutes façons, je sais bien que j’avais un peu peur du retour à la maison, j’essayais de le retarder le plus possible dans ma tête. Pas que je puisse plus repartir ensuite, mais au moins symboliquement ce retour marque pour moi la fin du « tour du monde ». Il aura duré douze ans, en comptant bien sûr ce long retour de quatre ans en France après l’Amérique, comme une parenthèse.
Quand je suis parti la première fois vers l’Amérique, adoptant cette vie de nomade, je pensais que ce serait un congé sabbatique d’un an ou deux comme le font la plupart. Bien entendu je partais en me disant que si j’aimais pas, je pourrais rentrer plus tôt que prévu. L’inverse aussi était possible, faut croire que la vie de nomade m’a plu, mais aujourd’hui je commence à avoir envie de construire des choses sur du plus long terme, ce qui est normal aussi.
Aujourd’hui, je sais malheureusement qu’il y a pas un endroit dans le monde que j’ai visité qui m’a vraiment convaincu complètement. Bien sûr y en a certains qui m’ont plu plus que d’autres, et je sais bien que, paradoxalement, je suis assez difficile à satisfaire dans mon idéal, mais je m’adapte assez bien là où je suis et arrive à y trouver mon plaisir. Aussi, ce retour me force à penser à ce que ce voyage m’a apporté en soi, mis à part bien sûr toutes les rencontres merveilleuses, les aventures mémorables, les paysages magnifiques, découvertes culinaires et l’ouverture d’esprit que permet le contact avec autant de cultures différentes.
Mais ça c’est un peu évidemment ce qu’on cherche en partant voyager, ce qui m’a surpris c’est par exemple qu’après le voyage en Amérique du Sud je pensais moins à l’avenir lointain. Peut-être à cause de la sensation de liberté et d’aventure, du tout est possible, et en arrivant en Guyane française après tout ça je me suis senti oppressé. Ce serait difficile de dire par quoi ça se véhicule, personnellement je pense que c’est tout simplement par contact humain, même sans trop connaître les gens on sent dans leurs manières d’être quelles sont leurs priorités, leurs valeurs, même au milieu d’une foule on peut avoir un retour sur l’architecture mentale ambiante, et au bout d’un moment on s’en empreint soi-même sans le vouloir, on est un peu comme une éponge culturelle.
Aussi je crois que le Japon m’a rendu plus honnête par exemple, étrangement l’Inde m’aura fait devenir pessimiste, je me suis découvert en Australie un côté très sociable, alors que je suis normalement plutôt solitaire. D’ailleurs pour revenir sur ce que m’a apporté le voyage, un des thèmes qui revient le plus souvent en discutant avec d’autres voyageurs, c’est justement sur le fait que le voyage en solitaire permet de se retrouver soi-même. J’aurais été d’accord au départ, et c’est vrai qu’au tout début je me suis rendu compte que finalement je traduisais ce que je vivais par rapport à la manière dont je l’aurais raconté à mes proches, par exemple. Quand on finit par perdre cette présence avec le temps on perd aussi ce filtre réconfortant. C’est un peu comme de se rendre compte qu’on est une feuille sur laquelle sont inscrites les influences des évènements passés, celles-ci s’effaçant, on a peur d’être seulement une page blanche. Mais on peut aussi se voir comme un tableau sur lequel on peut plus facilement écrire de nouvelles choses puis effacer à souhait. On accepte mieux les nouvelles rencontres, les aventures, les valeurs différentes, et surtout on accepte mieux à quel point elles nous définissent.
Une dernière chose qui me marque particulièrement suite à cette expérience de voyage, c’est de me sentir de plus en plus étranger au mode de vie sédentaire. Habitué à posséder que très peu, je suis toujours surpris par la frénésie de consommation, de voir à quel point on peut entasser des choses et en jeter encore beaucoup d’autres. J’ai aussi du mal à me projeter à vivre sur plusieurs années au même endroit, mais pour ça va bien falloir que ça vienne si je veux pouvoir ouvrir ma petite boulangerie bientôt.
Surtout, ce qui me choque c’est la montée des nationalismes un peu partout dans le monde, que ce soit en Amérique, en Inde, en Turquie, Europe de l’Est et tant d’autres. J’ai du mal à comprendre qu’on veuille s’enfermer à ce point, rejeter l’autre, qu’on ait peur du monde en somme. J’ai beau aimer ma culture et savoir que j’en suis le produit, sans aucun doute, je comprends pas qu’on puisse ignorer la beauté des autres, qu’on se centralise autant sur soi-même, cette petite fierté facile et ignorante me semble de plus en plus ridicule en plus d’être dangereuse.
Pour pas finir sur une note négative, je dois dire que le retour à la maison a finalement pas été si dur que ce que je redoutais. Faut dire qu’à chaque fois que je suis revenu en arrière au cours de mes voyages, j’ai été déçu. Je pense que c’est parce que j’imaginais toujours que les choses seraient exactement comme elles étaient quand je suis parti, comme si elles se mettaient en pause en mon absence. Ici c’est un peu l’inverse, je m’attendais à ce que ce soit complètement différent et je suis surpris de voir que les choses ont pas tellement changé au final. Pas que j’aime pas le changement, bien entendu, mais ça fait aussi du bien de retrouver du connu, et par dessus tout de retrouver la famille et les amis.
Alors voilà, je suis content, j’ai aucun regrets, et maintenant j’ai plus qu’à me construire au mieux un avenir.