Benoît Mennesson

Carnet de voyage…

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Mexico

du 07-05-2013 au 15-06-2013
Et le destin m’a un peu lâché cette fois, puis en fin de compte c’est pas plus mal. Parmi les options qu’on s’était proposé, rien ne semble possible ici. Va falloir sauter l’étape et aller directement en France, mais au lieu d’y aller seulement pour se marier on va aussi devoir travailler pour ravitailler le compte en banque. Pourquoi pas, ça nous laisse le temps de faire les choses plus tranquillement, Juliana aura le temps d’apprendre à mieux connaître mon pays natal, connaître la famille et les amis. Et c’est aussi un peu mieux payé que le Mexique, pour preuve le salaire minimum ici est d’un peu moins de 100 € par mois.

Bien sûr, je regrette quand même de perdre cette occasion de connaître mieux cette culture riche et bien particulière comme l’est sa gastronomie et son artisanat, mais pour se consoler on s’offre une réservation d’un mois dans notre auberge de jeunesse bien sympathique où on apprend aussi mieux à connaître entre autres Ceci et Carmelita, deux sœurs qui s’occupent du ménage et du petit déjeuner dans l’hôtel, et qui sont surtout adorables, bien bavardes et très drôles ;
mais aussi Yuji, un japonais réceptionniste dans l’hôtel depuis plus d’un an ; Larissa et Alex, un couple étudiant Brésilo-mexicain très sympa avec qui on s’entend bien. On apprend aussi à connaître mieux la ville de Mexico, troisième plus grande ville du monde, une histoire hallucinante, un dynamisme incroyable. Pour cette fois j’ai choisi de la décrire d’une manière plus libre.

Croisement Cardenas/Madero en face du palais des Beaux-Arts, 50 affiché et un bonhomme rouge arrêté, une grande artère piétonne rencontre son homologue routière, les corps s’accumulent, de chaque côté on s’observe. Les regards sont menaçants, on sautille, le sol brûlant, l’impatience et l’anxiété s’élèvent à mesure que le chiffre rouge diminue, jusqu’à zéro. On aurait pu croire, la paroi invisible lâche, la pression éjecte les corps, c’est la guerre. Cette ménagère haute d’un mètre vingt va sûrement balancer son sac de fruits et légumes dans la tronche de ce groupe de jeunes mal adaptés pleins de piercings et de tatouages qui jetteront leurs planches de skate-board dans le tas, un couple gay touché, l’un s’écroule, son petit ami qui tente de le retenir mais la foule en panique l’écrase. Au moment du contact cette petite écolière innocente en costume jupette impeccable mordra le bras du tourneur à musique qui lâchera son pesant instrument en bois et son képi beige rempli de piécettes, dans un dernier souffle jaillira un air de « la vie en rose » des flûtes aigües puis un grand crissement de rupture. Par chance la mascotte du magasin de pharmacie à l’angle représente un docteur bien obèse à cape blanche, le déguisement est un bouclier précieux pour lui qui court vers l’ennemi qui s’écroule par dizaines sur son ventre énorme et vient tomber à terre avant de recevoir un coup de pancarte annonçant la promotion du jour.

On est projetés jusqu’au Zocalo dans le long couloir commercial de la rue piétonne Madero à éviter les crieurs qui vendent des lunettes, la femme capitaine crochet qui fait une démonstration de tricotage, les hommes déguisés en « Transformers », on arrive en face d’un mec tout nu avec seulement quelques feuilles disposées ça et là sur le corps et qui danse d’une manière grotesque avec ses collègues déguisés de la même manière et qui tiennent dans leurs mains une sorte d’encens qui brûle ou un instrument de musique. Il est pas plus indien qua ma grand-mère, je me dis, c’est ridicule. Dans son visage gris et sans âme se reflète celui des ses confrères qui envahissent jusqu’au site archéologique de Teotihuacan. Tu pourrais être là tranquille en train de t’imprégner du poids de l’histoire, essayer de t’imaginer la vie grouillante de l’époque avec comme fond réaménagé les ruines grandioses du temple du soleil et de la lune. Déjà que leur présence est une laideur honteuse surtout sur un site pareil, ils te brouillent la tranquillité et moi de toute façon personnellement quand ils m’approchent ils m’insultent. Bien sûr que non que je vais pas l’acheter ton bout de plastique en forme de hache avec des décorations à la con, ni ton bidule insupportable qui sert à imiter le bruit du jaguar !

Mais, il est bien passé quelque part cet indien. Il se cache dans les visages des gens ici. Dans le métro je prends le temps de les observer. En Europe on croit qu’on les aurait quasiment exterminés, que ceux qui sont pas morts lors de la conquête ou en esclaves sous le poids de l’effort ont succombé aux maladies qu’on a importées, c’est pas beaucoup plus glorieux, mais je me dis qu’on dû a oublier les viols, et le métissage qui en a émergé. Car si on opère une sorte de soustraction, en enlevant tout ce qui a d’européen on retrouve bien cette bonne tête de mongoloïde que les nombreuses sculptures aztèques, mayas, toltèques etc. au musée d’histoire naturelle gardent pour témoigner. Ici les européens sont des anciens conquistadors, on ne sent pas ancienne colonie mais ancien colonisé, et on remarque beaucoup d’exemples des efforts faits pour se réapproprier la culture des civilisations précolombiennes locales. En fait, nous on aurait en tête l’histoire beaucoup plus médiatisée des Etats-Unis, le destin des peuples amérindiens des deux plus gros pôles de civilisation Aztèque et Inca est bien différent.

Le centre c’est le bordel, entre les beaux édifice sanciens, des cages à poules, en bas des postes de journaux ou des vendeurs de tacos, une odeur d’égout omniprésente atroce et une froideur commerciale encore pire, opérons un voyage vers le sud. On arrive à La Roma, des arbres, des petites rues tranquilles avec des bars et des cafés un peu partout, des immeubles un peu plus bas. Assis dans le sofa du ciné Tonala, en attendant ma projection je profite de l’ambiance cool et tendance à la new-yorkaise, deux petites jeunes, même tronche de chihuahua humanisé que ceux qui vendent des tacos à la sortie du métro, mais avec lunettes à la mode et sape bon genre, se commandent chacune un verre de vin et une part de gâteau, l’addition pourrait être équivalent à une semaine de salaire minimum local.

Dans le métro se suivent à la queue-leu-leu les vendeurs de pansements, sifflets pour imiter les oiseaux, contes pour enfants ou porte-monnaie, ils se mettent même d’accord entre eux pour parler chacun son tour, pas un instant de répit. Les plus détestables sont les portes-amplis, qui mettent la musique à fond pour vendre leurs CD. Les seuls musiciens présents sont des souffleurs d’harmonica, ils jouent deux notes à répétition, j’en ai même vu un qui jouait en même temps de la guitare, mais sans faire d’accord puisque cette main servait à tenir l’harmonica … Eux paraissent exploiter réellement cette stratégie : paye moi pour que j’arrête de jouer.

On arrive à Coyoacan, depuis la place Hidalgo on descend l’avenue Francisco Sosa. Emerveillement toutes les trente secondes, d’un charme métisse entre la virilité du style hispanique et la fraîcheur de l’exotisme coloré, qu’elles soient anciennes ou plus modernes, les maisons bordant cette ruelle pavée sont des petits bijoux habités et chouchoutés par des familles bien aisées au goût prononcé pour la tradition, la poésie et la culture, on peut partager ça même si on partage pas la taille du porte monnaie. On finit ce charmant parcours sur la mignonnette chapelle San Antonio Panzacola, datant de la nouvelle Espagne, en face un torrent de voitures descendant l’avenue de l’Université, dévoilant le même cauchemar de tours sans âmes, de cages à poules et de vendeurs de bric-à-brac.

Terminus du « train léger »
Xochimilco et ses canaux à la Venise. La ville de Mexico, construite sur les ruines de Tenochtitlan, la capitale Aztèque, au début était une île ! Au milieu du lac Texcoco, là où les aztèques avaient construit leurs forteresses et leurs plus grands temples, là où ils apportaient ces millions de cœurs arrachés à la dépouille de leurs victimes, cette furie moderne de béton grandie sur le meurtre de sa sanguinaire prédécesseuse a repoussé l’eau jusqu’ici. Depuis toujours haut lieu de production florale, on y vient surtout aujourd’hui pour faire un tour en amoureux dans ces barques multicolores qui coûtent un bras à l’heure, et en plus il faut arroser les mariachis (groupes de musique traditionnel) qui jouent sur les bords des canaux.

Au début isolés et aujourd’hui englobés, c’est certainement l’avenir de beaucoup de villages comme celui-ci autour de Mexico, au milieu du ciment des banlieues sauvages, cette favela mexicaine qui a exactement la même apparence que sa cousine brésilienne entre bidonville évolué et lotissements ultra-pauvres, qui s’en va très loin en courant sur les vallons et les montagnes, donnant l’impression d’un océan de pauvreté.

S’il reste quelque chose de latin au Mexique, c’est bien la fierté. On en va jusqu’à exagérer la dangerosité du pays, car c’est vrai que les réseaux de drogues s’entretuent comme il y a dix ans de ça en Colombie, mais on le sent dans la bouche du mexicain comme un trophée, « dans cette rue tu peux te faire tuer et personne ne va bouger, la vie ne coûte rien ici, on te tue avant et on te vide les poches après » c’est le refrain coutumier et pourtant, on se sent pas tellement en danger, on a même du mal à s’imaginer ces braves descendants du cruel aztèque haut comme trois pommes, volontiers rieurs et serviables devenir subitement agressifs et te poignarder pour te voler trois pesos. En revanche, on sent bien la fascination pour la mort. Sur un vélo, dansant dans un joli costume ou recouvert de papillons colorés, la figure du squelette se retrouve étrangement dans un nombre impressionnant d’endroits, au début on trouve ça bizarre et malsain, surtout en sachant qu’ici il est supposé être un objet de décoration, puis on s’y habitue.

Il y a des petites choses comme ça qu’on garde de chaque pays et on se dit, par exemple : ce que j’aimerais, là maintenant, pouvoir revenir à Buenos Aires et me faire un bon choripan, ou alors à La Havane pour un batido de chocolate. Ici au Mexique, je reviendrais bien quelquefois juste pour me commander trois tacos al pastor. Sur une sorte de crêpe de maïs de la taille de la main, une viande de porc bien croustillante marinée dans les épices et cuite sur le trompo, par dessus un peu de coriandre et d’oignons finement hachés, et la touche de plus c’est les petits morceaux d’ananas, une petite lichette de sauce piquante, on le prend d’une main en pliant la crêpe de maïs en deux et on le mange debout devant le poste de tacos, coût : de 20 à 30 centimes chacun.

Et il faudra bien que je m’habitue à plus pouvoir me dire, quand il fait faim et que j’ai rien à manger, tiens je vais marcher jusqu’au prochain coin de rue et trouver trois postes pour manger autant ou des tacos ou un burger ou une salade. Départ vers la France, on doit rejoindre Cancun d’où c’est moins cher pour rejoindre Paris que depuis la capitale, on part vers Puebla, une ville connue pour son atmosphère agréable et son artisanat. Ensuite, à mi-chemin on s’arrête à Villahermosa, pas tellement touristique, dans une zone de fréquentes inondations, un climat bien tropical. Avec l’humidité étouffante et la chaleur impressionnante, j’ai tout de suite un fort souvenir, comme un parfum de Guyane. C’est peut être la végétation très ressemblante ou alors l’urbanisme à la fois simpliste et chaotique d’un air de Far-West tropical. Et vraiment rien à voir, à part les magasins de chaussures et de vêtements, direction notre dernière étape : Merida.

Merida, où personne ne sait pourquoi c’est bizarrement la seule ville où on trouve les fameuses guayaberas typiques de Cuba, et on en trouve ici à tous les coins de rues. En tout cas j’en profite pour m’en acheter une, c’est un regret que j’avais eu en partant de La Havane. A part ça rien d’exceptionnel ici, c’est quand même un peu plus agréable que Villahermosa, la plage est pas trop loin et la ballade est agréable, mais on pourrait s’en lasser assez vite.

Et de toute façon, pas le temps pour nous de traîner, on a un avion pour Paris, je m’en vais retrouver mon pays et le présenter à Juliana qui le découvre avec un oeil différent du mien et du coup c’est enrichissant d’avoir son point de vue. Je me rends compte moi aussi qu’en analysant bien, après tant de temps passé en Amérique, il y a parfois des aspect que je vois changé en relation à ce que se fait sur le nouveau continent, c’est aussi à ça que ça sert de voyager !
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