Benoît Mennesson

Carnet de voyage…

La Jamaïque du 31-12-2011 au 14-01-2012

janvier 2012
Juste pour l’anecdote, à l’aéroport de Miami en prenant mon vol pour Montego Bay, au contrôle de la douane, ils m’ont demandé d’enlever mes chaussures. Ils ont tout de suite regretté, ça faisait trois jours que je les avait pas enlevées !
En arrivant en Jamaïque, la première réflexion que j’ai c’est de me dire qu’étrangement, entre la Floride où j’étais trois heures avant et ici, le climat et la végétation peuvent être si proches et la vie des Hommes si différente. Les plantes sont moins bêtes, l’eau de la pluie et la lumière du soleil ont le même prix en Jamaïque et aux USA. Bon c’est vrai que Montego Bay c’est pas le meilleur exemple. C’est un piège à touristes, y a pas vraiment grand chose à voir, on t’attend en masse pour te prendre ton argent. Les rues sont sales, les bâtiments sont globalement moches, le centre ville est bruyant, les plages sont payantes sauf celles où te déconseille d’aller car trop dangereux.
Et en sortant de l’aéroport, je tombe des nues, jusque là j’étais un backpacker, donc pas trop argenté, on faisait pas trop attention à moi, j’aimais bien. Et là, une dizaine de chauffeurs de taxi qui me tombent dessus directement, alors que j’ai pas encore pu respirer ma première bouffée d’air jamaïcain, pour me demander où je vais, quel est mon hôtel. Je leur dis que je vais d’abord prendre un café tranquillement, mais ils me décollent pas tellement des semelles. Je me renseigne pour savoir s’il y a des bus qui vont au centre ville, non y a rien. Je demande le prix du taxi, 20 US$ ! Plus cher que ma nuit d’hôtel, ça va pas bien, je me dis que je vais faire le trajet à pied, puis voyant l’état des rues et considérant la distance, je me résigne. C’est la première fois de ma vie que je prends un taxi, j’aime pas ça, ça m’énerve, ça fait privilégié, « monsieur a un chauffeur »… Et ça allait pas être le dernier, mais heureusement les suivants seront beaucoup moins chers et beaucoup plus sympathiques.
Le comportement des gens en Jamaïque est plein de contradictions exacerbées. Autant dans ces sortes d’épiceries grillagées à l’entrée pour éviter les vols, où les employés vont chercher à ta place dans les rayons les produits que tu demandes, j’ai pu tomber sur une caissière qui faisait semblant de m’ignorer derrière son grillage parce qu’elle a pas envie de s’occuper d’un blanc. Autant j’ai pu tomber sur un chauffeur de taxi, embêté de pas pouvoir m’amener où je demande parce que c’est pas son trajet, qui va sortir de voiture pour arrêter dans la rue un autre taxi concurrent qui lui va dans la bonne direction.
Sur la route les gens roulent vraiment comme des tarés, conduisent trop vite, font du slalom entre les files pour gagner du temps, mais ils peuvent être très courtois pour laisser passer quelqu’un qui tourne à gauche et qui n’a pas la priorité.
Un marseillais que je croise à Port Antonio me confie que, même s’il vit depuis plus d’un an ici, a une femme jamaïcaine et tout, il ne comprend toujours pas vraiment la psychologie des jamaïcains.
Après ma première mauvaise expérience de l’arrivée à l’aéroport et les gens de l’auberge qui me confirment que c’est partout pareil en Jamaïque, j’ai la chance le lendemain de tomber sur Tymon, un polonais qui a grandi en Ecosse, qui fait ses études aux USA et qui se définit lui même comme un random traveller (ou voyageur de l’aléatoire). Il me rassure un peu en me disant que lui est tombé sur des gens très sympas.
On entend de la musique de fanfare dans la rue et il me propose d’aller voir ce qu’il se passe. On tombe dans une manifestation religieuse, des églises adventistes des quatre coins de la Jamaïque qui se réunissent dans une église à Montego pour célébrer le 47ème anniversaire de je sais plus quoi. On suit une file et deux petites vieilles super sympa nous expliquent plus précisément ce qu’il se passe. On entre dans l’église et on nous offre du pain et de la soupe comme pour les autres, on écoute des chants de gospel, c’était cool. Je suis content de mon expérience de voyage aléatoire. Du coup je me rappelle souvent par la suite ces mots positivistes de Tymon : « Com’on, we’re in Jamaica, that’s crazy ! » (Hé mec, on est en Jamaïque, c’est dingue !).
Bon, je pars vite fait de Montego pour Oracabessa, à l’auberge du Nix Nax qu’on m’a recommandée. Oracabessa est une petite ville où je me sens un peu plus être une personne comme une autre et ça fait du bien. L’auberge est sympa, bon marché. La plage est calme et pittoresque, avec ses petits bateaux de pêcheurs en bois. L’auberge du Nix Nax est au premier étage du bâtiment dont le deuxième est la maison du propriétaire, et au rez-de-chaussée c’est une école. C’est assez sympa de se réveiller le matin en entendant les chants de chorales des enfants dans la cour de récréation. Ils ont un petit bar de l’autre côté de la rue où ils cuisinent repas et petit-déjeuners, vraiment pas mauvais, pour les clients de l’auberge.
C’est ici que je goûte au plat national Jamaïcain : le ackee au poisson salé. Le ackee est un fruit jaune qui ressemble à du jaune d’œuf et qui a un goût assez neutre, mais avec le poisson salé type morue, des oignons et des piments c’est super bon. La cuisine Jamaïcaine est souvent à base de riz, de haricots en tous genres, de poulet ou de poissons, de légumes verts, un peu épicée mais pas trop, juste ce qu’il faut.
La première fois que j’ai pris un mini-bus en Jamaïque aura été la pire. Au centre de transport de Montego on me demande où je vais et on m’amène devant un mini bus déjà bondé, le mec chargé de remplir les bus ouvre la porte, demande au gens de se tasser et me voilà un morceau de banquette pour poser une moitié de fesse, je m’assois et le mec me lance mon sac de rando sur les genoux, ferme la porte pour que ça me retienne de tomber, je peux plus bouger un petit doigt, le bus démarre… heureusement qu’y a des gens qui descendent en cours de route pour faire de la place.
À part ça, j’ai trouvé que les transports jamaïcains étaient vraiment bien rodés et très pratiques. Le principe est un taxi qui a un trajet bien défini, il attend à son point de départ en criant le nom de sa destination jusqu’à ce que le taxi soit plein (et même plus que plein) pour partir puis, sur le chemin, te dépose où tu veux et prend de nouveaux passagers s’il y a de la place.
Pour les grands trajets, les « route taxi », des voitures classiques, deviennent des mini bus, d’environ une douzaine de places pour les petits à 25 places pour les gros qui font les lignes de grand trafic. Les gens s’entraident volontiers pour déplacer les sacs, partagent facilement un morceau de banquette, se font du change d’argent entre eux pour avoir l’appoint, et ce qui m’a le plus marqué est que les gens qui entrent en cours de route, quand le bus est plein, avec des enfants dans les bras les posent automatiquement sur les genoux de ceux qui ont des places assises qui les prennent naturellement dans leurs bras. On paye un euro pour un peu moins d’une heure de trajet. Les plus gros déplacements que j’ai fait, d’environ trois heures, m’ont coûté un peu plus de quatre euros, je suis pas étonné que ce soit un moyen de transport qui marche si bien, la fréquence est tellement importante que t’attend rarement plus de 20 minutes à un endroit avant de partir. Du coup, mes trajets en Jamaïque dans ses mini bus à regarder passer les paysages changeants des bords de mer en montagnes, villages calmes et villes grouillantes sont un de mes meilleurs souvenirs. À Oracabessa je fais la rencontre de Elroy et de King Charles au moment du petit déjeuner. Au début j’ai pris King Charles pour un rasta local à cause de son habillement étrange, ses dreadlocks, colliers aux pendentifs bizarres, et aussi parce qu’il me faisait un discours sur la terre promise, les chakras et tout le reste. En fait c’est un mec du Bronx (au nord de New-York), complètement fêlé, qui m’explique qu’il a été appelé par David, le roi des juifs, pour conduire les jamaïcains vers la terre promise et expliquer à tout le monde qu’il est le nouveau prophète. Elroy, un allemand de famille juive, lui prend son carnet sur lequel sont inscrites ses prophéties avec des dessins bizarres éparpillés, et lui écrit « Le roi Charles » en hébreux sur la première page. Lorsqu’il lui montre en lui lisant pour lui donner la prononciation, le visage de King Charles s’éclaire de joie comme celui d’un enfant qui aurait trouvé une sorte de trésor de pirate en creusant dans le sable. Je lui dis « tu vois Charles, maintenant tu peut aller à Jérusalem et leur dire que t’es le nouveau roi. » On éclate de rire, c’est facile c’était le troisième spliff qui tournait du matin.
Mis à part le style commun du Jamaïcain, qui ressemble fort à celui du beauf européen, il y a deux styles prédominants chez les hommes. Celui que je préfère est le style Rasta. Le style rasta va du rasta clodo au rasta classe en passant par le rasta mystique. Le rasta clodo va vers le dénuement presque complet, pieds nus, sale et dreadlocks pas entretenues. Plus la situation financière est bonne, j’imagine, plus ça devient raffiné, pas dans le sens paillette et bijoux mais plutôt dans le sens du titi parisien avec son foulard autour du cou et sa gavroche du dimanche. C’est bien sûr celui que je préfère, c’est le style du propriétaire du Nix Nax, et ce sont souvent des gens débrouillards qui bricolent leurs maisons, cultivent leurs jardins, très actifs quoi. Le rasta mystique va plus vers des pendentifs, bijoux, dessins et gri-gri qui ont tous une signification bien particulière et très importante, le tableau final est souvent plus qu’improbable, haut en couleur, mais original bien sûr. Et le deuxième style principal est le style US, très bling-bling avec bagues, grosses casquettes NYC, lunettes de soleil énormes dans toutes les positions, accrochées aux tempes et qui pendent sous le menton par exemple. Bien sûr j’aime beaucoup moins, on dirait qu’ils se prennent tous pour des mafieux, des gangsters ou des terreurs, et c’est surtout beaucoup moins original.
Bizarrement, moi qui aime les grandes villes, j’ai pas vraiment aimé Kingston. C’est très bruyant, globalement assez moche, ça donne pas envie de s’arrêter quelque secondes pour s’asseoir sur un banc. Même pas vraiment d’endroits pour écouter un petit concert de musiciens locaux le soir, rien. Et puis en fin de compte, ça reste une assez petite ville même si c’est la plus grosse de l’île. Bien entendu, au Reggae Hostel, l’auberge de jeunesse de Kingston, je rencontre plein de jeunes européens, américains, japonais (les autres auberges que j’ai faites hors de Kingston étaient relativement assez vides), et je passe un bon moment. Je joue de la clarinette, accompagné par un batteur itinérant qu’y a joué deux ans au Brésil, pendant qu’un japonais s’éclate en dansant une chorégraphie de Michael Jackson, je finis la soirée à discuter avec une anglaise clairement anti-français mais, mystérieusement, à cause d’une drôle de substance qu’ici les gens mêlent au tabac dans les cigarettes qu’ils partagent avec leurs voisins, le courant passe bien et je me paye une bonne partie de rigolade avec ma copine anglaise.
Enfin bref, le lendemain je pars quand même vite fait pour les Blue mountains. Le Mount Edge Hostel, perché en bord de route de montage sur une pente abrupte, fait pousser ses propres fruits et légumes servis dans la cafétéria de l’auberge. En arrivant le premier jour, je pars me promener en suivant la route jusqu’au village le plus proche et je tombe sur deux jamaïcains, très sympa, on fait le chemin ensemble et on discute de tout et de rien. C’est la première fois que je tombe sur des locaux qui me donnent l’impression de se foutre complètement de savoir si j’ai de l’argent ou pas. L’un deux m’invite à manger chez lui, malheureusement la nuit tombe dans une heure et je me dis que c’est peut-être pas une bonne idée de rentrer de nuit à l’auberge. Le lendemain, visite du Rasta camp avec mon seul compagnon de chambrée, un canadien anglophone pas très bavard. C’était sympa quand même, j’ai bien discuté avec un rasta du village qui m’a un peu montré comment ça se passait dans le village, on a parlé du rastafari et tout et tout, instructif quoi.
En arrivant en Jamaïque, je devais avoir bien assimilé l’accent anglais nord américain. On m’a quelquefois demandé si j’étais new-yorkais, on m’a aussi demandé de parler en français pour prouver que j’en étais bien un. C’est dans les montagnes que je me rend compte que je commence à ajouter certaines spécialités jamaïcaines à mon pur anglais new-yorkais donc. Je dis plus souvent « Man » à la fin des phrases courtes : « Thank you man », « Ok man » et surtout le « yeah man » national. Je change mon Tabarnak québécois par le Bumboclaat local, qu’on peut employer à peu près dans les mêmes occasions, et que je trouve amusant puisqu’il signifie littéralement « papier à fesse » ou papier toilette.
Je quitte le Mount Edge Hostel et je me rapproche du plus haut sommet des Blue Mountains en me rendant chez Jah B qui tient un guesthouse …non loin de Hagley Gap, d’après mon guide Lonely Planet. Les trajets peuvent être amusant en montagne. Le chauffeur de mini bus veut me déposer à Mavis Bank en me conseillant de demander aux policiers pour savoir comment aller à Hagley Gap, puis en fin de compte un gars me dit de continuer avec lui jusqu’à Mont Charles, le terminus. Je le suis à pied sur un petit chemin défoncé et en arrivant près d’un village il crie pour faire arrêter une sorte de mini fourgonnette qui m’embarque dans sa remorque arrière et qui me dépose à Hagley Gap. Puis je demande ma direction à un commerçant du coin qui m’indique un chemin, ça a pas l’air de l’inquiéter de me voir partir à pied. Ça grimpe très dur, je suis épuisé au bout de cinq minutes, le trajet durera plus d’une heure, je remercie mon guide Lonely Planet qui a omis de m’informer de ce petit détail, et en prime je casse une bretelle de mon sac. Au final je me retrouve coincé devant ma route qui se sépare en trois. Heureusement un gars passe par là et me dit qu’il va me montrer. Il fait dix minutes de marche avec moi, on arrive à bon port, et bien sûr il me demande de l’argent. J’aurais jamais trouver sans lui, je peux pas lui refuser c’est sûr, mais je suis quand même toujours agacé par cette manie qu’ont les jamaïcains de ne te dire qu’une fois le fait accompli que leurs services étaient payant.
Et c’était pas encore fini pour moi. Chez Jah B, je passe de très bons moments. Déjà parce que Jah B est super sympa, il m’emmène dans sa ferme et on cueille du café ensemble. Quand il se met à pleuvoir, tout le monde vient s’abriter sous le toit de la cuisine. Enfin, je dis une cuisine, en fait c’est un morceau de tôle et un feu de bois en dessous. C’est une ferme collective, tous les rastas qui s’y regroupent sont à la fois propriétaire, exploitant, et en grande partie client. On me demande si je veux un morceau de Yam, je dis oui, ils mettent une sorte de grosse racine dans le feu avec les autres. Une fois cuit, après avoir raclé le cramé, on le fend en deux, on met de la margarine, du sel, on referme et on croque dedans. C’est super bon, tendre et juteux au milieu comme un patate douce, et croustillant autour comme une bonne baguette de pain bien fraîche.
Le lendemain je pars avec son fils, Alex, pour grimper le pic des Blue Mountains, le plus haut de Jamaïque. On se réveille à deux heures du matin et c’est parti pour trois heures de marche. Au trois quart du chemin, il fait encore nuit noire, on s’arrête et il me montre du doigt un endroit au loin. Je tourne la tête et j’aperçois une tâche brillante, immense, comme un grand lac luisant au pied des montagnes, perdu dans ces pics sombres qu’on devine grâce à la lumière de la pleine lune, c’est Kingston. C’est magnifique, imposant, les lumières vibrent, on pourrait croire des vagues sur lesquelles se reflètent les rayons d’un soleil invisible.     Et même si je commence à être habitué aux levers de soleil, même si c’était un peu nuageux sur l’horizon ce jour là, celui-ci était pas mal quand même. Perché sur la petite structure métallique en forme de pyramide qui sert à matérialiser le pic, pendant que mon guide finit sa nuit dans un refuge à côté, je me dis que je suis sûrement l’Homme le plus haut de Jamaïque à ce moment présent, le soleil apparaît et je suis sûrement le premier à le voir, puisque plus on est haut, plus l’horizon est loin.
Bref, j’aurais passé du bon temps et je regrette pas, mais seule petite ombre au tableau, quand Jah B me fait la note. J’avais demandé le prix de la nuit en arrivant et c’était raisonnable alors je me suis pas posé de questions pour le reste. Mais le prix des repas, du transport pour me ramener à Mavis Bank, tout est exagéré par rapport à ce qui se fait habituellement. J’avais vu que la vaisselle n’avait pas été faite depuis trois jours quand je suis arrivé alors j’ai proposé de la faire. Du coup quand je lui ai demandé s’il pouvait me prêter une aiguille et du fil pour recoudre mon sac et il m’a dit : t’inquiètes pas ma femme va te le faire, j’ai cru que c’était un échange de bons procédés. Mais non, ça aussi c’est sur la note. Le guide pour la rando ça se comprend, mais la journée à la ferme où j’ai bien aidé m’est aussi facturée au même tarif. Le marchandage ne donne pas trop de résultats et je repars avec l’impression qu’on m’a bien pris pour un pigeon. Ce qui me réconforte un peu, c’est que dans la voiture Jah B me confie que, dès qu’il aura assez d’argent, il partira en voyage en Ethiopie, la terre promise du rastafari, je préfère participer à ça plutôt qu’à l’achat d’une voiture de luxe.
Je pense pas que le reste de mon séjour soit très intéressant, toutes les villes en Jamaïque se ressemblent et ne sont pas très intéressantes à voir. Montego Bay, surtout, est à éviter. Kingston est à voir si on veut vraiment comprendre la Jamaïque, mais les beaux endroits sont surtout les plages, et les montagnes, et comme je suis pas fan de plages et de baignades… Mais la Jamaïque reste surtout pour moi une expérience intéressante dans le sens où c’est la première fois que je visitais par moi-même un pays pauvre, j’appréhendais un peu, et en fin de compte j’en garde un super souvenir. Même la crasse qui me soulevait le cœur au début, j’ai fini par l’oublier. Même les maisons pas finies, les boutiques faites de récupération type bidon ville, les vieux bâtiments à moitié écroulés, retapés et repeints en couleurs vives, j’ai fini par trouver ça beau. Les gens qui squattent partout, même dans les villages, à toute heure de la journée, je comprenais pas au début et je trouvais ça inquiétant, on a l’impression qu’ils ont rien à faire de leurs vies, ou qu’ils attendent pour faire un sale coup. En fait c’est juste qu’en Europe on reste plutôt chacun chez soi et qu’eux préfèrent se retrouver à poireauter ensemble dans la rue, pour le coup ça donne un côté plus vivant.
Et même si c’est vrai qu’on en voit du malheureux, des gens tout maigres qui se tordent dans tous les sens, couché par terre sur du béton, sous le soleil qui tape dur, comme s’ils voulaient mourir le plus vite possible. Des enfants de six ou huit ans qui lavent les pare-brises des voitures aux feux rouges. Une petite fille qui me montre un bordel d’où les prostituées me font coucou et de grands sourires et qui me dit: « c’est là que tu vas ? Moi c’est de là que je viens ». J’ai passé une soirée dans une auberge à discuter avec une jeune jamaïcaine qui « accompagnait » un cinquantenaire américain en m’expliquant qu’elle faisait ça car elle avait besoin d’argent pour continuer ses études. Une nuit, dans un motel où je suis réveillé par les hurlements d’une femme, qui se calment quand j’entends arriver les gardiens, je pense juste à une engueulade de couple puis le lendemain matin en allant prendre un café j’aperçois des taches de sang et un couteau par terre dans l’entrée d’une chambre dont la porte est entrouverte. Même si ça fait bizarre de voir tout ça, je suis convaincu que c’est important, c’est aussi ça l’intérêt du voyage. On passe de l’autre côté de l’écran de télévision, dont les images de la réalité nous sont devenues inconsciemment assimilées comme presque fictives, c’est différent de voir la vérité par ses propres yeux.
La Jamaïque est un pays pauvre, c’est un pays bordélique et bruyant, c’est d’ailleurs pas un pays si touristique que ça. Mais c’est un pays qui a une âme, qui a un charme, une personnalité. Les jamaïcains sont parfois étranges, et ils sont très fiers, ils savent que c’est leur île, à eux, et à personne d’autre, mais je pense que si on sait se montrer respectueux, on peut être globalement très bien accueilli. Pour conclure, c’est un pays original et enrichissant. Et c’est une belle destination, même si c’est pas le club Med, on vient pas forcément dans l’intention de fumer des pétards à longueur de temps, et même si on peut pas voyager à l’arrache comme je le fais habituellement et traîner n’importe où la nuit, je la conseille.


© 2011-2024 - Benoît Mennesson • Contactez-moi