Benoît Mennesson

Carnet de voyage…

image d'illustration de l'article

La Guyane française

du 03-10-2012 au 08-03-2013

Petite tache en haut du Brésil sur la carte d’Amérique du Sud, la France sur le continent américain, la Guyane française est pourtant bien une île, séparée du Brésil à l’est par le fleuve Oyapoque et à l’ouest par le Maroni, séparée au sud par l’océan vert de l’Amazonie. Envahie de Brésiliens, Surinamais, Guyaniens du Guyana, de métropolitains de France, de Chinois et de Hmongs … pour faire court. Bref, les créoles, les amérindiens ou les bushinengués qu’on pourrait qualifier d’indigènes de la région ne sont pas seuls. C’est la diversité qui marque ici plus que le mélange, une diversité qui arrive à se côtoyer dans d’assez bonnes conditions sans non plus trop s’unir. On n’entend pas plus la voix d’une communauté que celle d’une autre et d’où qu’on soit originaire on se sent la légitimité d’être là.

C’est certainement pour ça que j’ai rencontré en Guyane plus d’aventuriers que je ne m’imaginais, en retraite ou en repos, ou même des aventuriers repentis pour qui la Guyane permet de compenser un manque. Et c’est vrai qu’on sent ici l’espace, les possibilités d’évoluer et de faire avancer, les voyages dans la profonde Amazonie et le long des fleuves bordés de villages isolés. Le décalage entre les cultures dans la façon de vivre. Et je pense que c'est aussi ce qui fait qu'en tant qu'aventurier j’ai beaucoup aimé la Guyane.

Malgré ça, dans mon cas personnel, j'ai pourtant nettement ressenti une distance par rapport à l'aventure. On se sent ici bien loin de l’Amérique latine et je me sens encore plus pour le coup loin de mon voyage.

Quand j’ai franchi le pont au-dessus de l’Oyapoque, frontière avec le Brésil, j’avais encore je crois dans les poumons, dans l’air que je respirais, dans les yeux soit la poussière soit dans l’esprit d’autres mouvements, ou alors est-ce qu’au lieu d’être dans la magie des éléments qui composent l’air et le sol c’est dans les règles nombreuses et tordues, l’individualisme, le poids de la vie et des choix différents dans la mentalité européenne, que finalement la dernière couche d’atmosphère agréable du voyage qui m’entourait s’est diluée. Sur ce pont j’étais encore un voyageur quelconque sans plans pour le lendemain, une âme qui flotte dans le vent et se colle autour, aux faits des hommes et de la nature, pour une minute seulement, toujours il y avait un bus, un bateau, mon sac sur les épaules, il n’y avait rien derrière moi qui m’empêche de partir. Le soleil se lève au-dessus de l’Oyapoque et assis sur un muret au milieu du pont, je reprends mon souffle et reçois la fraîcheur des premiers rayons qui me dévoilent le paysage magnifique autour de l'Amazonie que transpire la brume à travers sa carapace de feuilles et de branches.

Mais cette fois, j’avais vraiment besoin de la Guyane, mon compte au plus bas, je dois m’acheter une voiture pour aller travailler, prendre une assurance, une mutuelle, des papiers à remplir, et d’autres à donner, des chiffres à retenir, de l’argent qui flotte entre mon compte et l’au-delà et qui pourrait s’évaporer mystérieusement, c’est un peu ce que j'ai ressenti avec plus d'anxiété encore sur le départ. Sinon, l’entretien que j’ai passé le lendemain du jour où je suis arrivé en Guyane s’est avéré fructueux, le travail me plaît et le salaire est bon alors ça aura valu le coup. D’ailleurs, le mieux est de parler de ce qui aura valu le coup.

Je pensais que ça n’existait que dans les documentaires sur France 5 le dimanche après midi, c'était pas vraiment réel, les grands arbres desquels on ne voit pas la cime, des lianes qui s’enroulent autour des arbres comme de gros serpents immobiles de même que les racines qui courent au sol, partout des feuilles, des tiges, de la mousse. Parfois sur le chemin, des odeurs de jasmin, de mûre ou de framboise, des fleurs qui tombent du ciel et qui parsèment le sol. Des cris d’oiseau ou autres animaux étranges, lesquels on ne voit jamais d’ailleurs, tous vivent sur la canopée. La canopée c’est la surface de la forêt amazonienne en contact avec le ciel, c’est là où se pose le soleil et l’eau de pluie, c’est donc là où est la vie. Sous la canopée c’est une autre impression, plus celle de marcher dans un long couloir, au bout de quelque temps on peut même se sentir à l’étroit dans cette immensité, et on aimerait plus que tout découvrir une brèche qui ouvre sur un grand panorama. C’est pour ça que je m’assois quelque temps au bord de cette petite rivière, ça aère. Tout autour est immobile, tout est marron ou vert, mais la rivière ouvre un petite zone d’espace et crée un petit bruit constant dans le silence. Avec une température aussi haute et une humidité incroyable, l'effort dans la marche est assez intense, le repos est mérité. Je joue de la guimbarde, le son étrange qui ressemble à un bourdonnement se mêle particulièrement bien avec le paysage. Passe une tache bleu luisante, sans trajectoire continue, sans bruit. Elle est sortie de nulle part, elle flotte si légèrement qu’on dirait que le poids n’est plus. C’est un morpho qui remonte la rivière, un gros papillon d’un bleu luisant, magnifique, c’est la première fois que j’en vois un et j’ai l’impression d’avoir halluciné, je le regarde s’éloigner avec l'émoi que peut laisser l'effet de la beauté légère en me disant que même si c’était seulement pour ça, ça aura valu le coup de partir deux jours à marcher dans l'Amazonie.

C'est une expérience tellement exceptionnelle que je la renouvellerai avec plaisir pendant un séjour de quatre jours à Saül, un petit village au beau milieu de l'Amazonie Guyanaise qui offre des parcours assez larges. En arrivant à l'aéroport fait d'une piste de terre battue, on peut rejoindre le village par un petit chemin dans la forêt. Pour me mettre à l'aise les gendarmes me conseillent d'être prudent car ils ont vu un jaguar en venant. Même si en fin de compte la forêt reste assez ressemblante à celle qui se trouve proche de Cayenne, j'ai pu voir plus de petites bébêtes étranges aux couleurs surprenantes, des fleurs aux parfums qui rappellent des fruits ou des fleurs diverses, des petits singes qui se promènent sur la canopée, et puis y aura cette petite soirée qui me restera en souvenir, je la cite pour l'exemple. Les autres touristes métro que je rencontre dans mon carbet m'invitent à une soirée sur la place du terrain de pétanque du village. Il y a là rassemblés des jeunes et moins jeunes, des Hmongs du village voisin, des créoles et des métros. Ça joue au domino, à la pétanque, ça discute, ça boit, et il y a un petit groupe de percussion au bout de la table. Ils commencent par un long instrumental ponctué de quelques solos plutôt pas mal. Et tout à coup le leader lance le refrain : "Reviens, Jésus reviens, Jésus reviens parmi les tiens". J'ai eu du mal à me retenir de rire, j'aurais jamais imaginé entendre cette chanson dans ce contexte, mais c'est très sérieux, les guyanais adorent ce qu'ils appellent le « chanté noël ». Moi j'ai eu du mal à pas saturer à force de les entendre partout pendant la période de pré-fête.

A part l'Amazonie, la Guyane c'est aussi la plage ! Au départ elle donne pas très envie car l'eau est marron à cause de l'apport d'eau des fleuves amazoniens. Et en fin de compte on s'y fait, d'autant que la température de l'eau est plutôt agréable. Ce qui est aussi plaisant c'est que c'est un endroit très vivant. Il y a le coin des surfeurs, celui des familles qui se baignent, celui des pêcheurs, il y a souvent des jeunes qui s'entraînent à faire des acrobaties ou qui construisent un abri ou qui peignent sur des murs de clôtures. Du coup c'est assez agréable pour faire une petite balade le long de l'eau ou faire un footing.

Je découvre les plaisirs de la vie en environnement équatorial. Car c'est sûr qu'en Guyane c'est tous les jours en T-shirt, faire la sieste dans le hamac pendant la pause déjeuner, y a pas mal de bons côtés quand on y réfléchit bien. Et aller cueillir des fruits ou des légumes sur les arbres des places ou de ceux qui dépassent de chez les voisins, ou de ceux qu'ils te donnent volontairement. J'ai beau beaucoup apprécier tous ces bons côtés, je crois que je suis pas devenu non plus accro à toutes ses facilités, je suis d'ailleurs aujourd'hui encore plus qu'avant convaincu que le chaud à encore plus de bon quand il vient après le froid, que le frais et plus appréciable après la canicule, que le soleil a plus d'éclat après une longue période nuageuse.

Pour ma première véritable coloc, bien que les auberges de jeunesses que je côtoie beaucoup pendant le voyage sont en fait des colocs géantes, mais pour peu de temps, j'avais choisi quelque chose d'assez tranquille. J'emménage chez Sylvain et Camille qui ont une chambre libre avec salle de bain attenante dans leur maison et sont habitués à la colocation. On a un beau grand jardin avec plusieurs cocotiers qui fournissent de quoi faire des flans au coco à foison, si on avait suffisamment de temps pour toutes les utiliser on pourrait même aller en vendre au marché, nous on est plutôt obligé de les jeter, des belles noix à 3€ pièce en métropole… Et les palmes du cocotier servent à allumer le barbecue quand elles tombent de l'arbre bien sèches. On a aussi fait une récolte de bananes, et j'ai planté un pied de maracuja (fruit de la passion) et trois ananas qui n'ont malheureusement rien donné avant que je parte. Bref, se faire griller un poisson du marché dans le jardin, le manger tranquillement sur la terrasse, au milieu des sculptures et créations de Camille, et quand parfois Sylvain prends la guitare pour chanter des chansons, dans l'atmosphère s'étend rapidement une petite magie douce bien appréciable.

Je reste bloqué en essayant d'en écrire plus sur mon séjour ici en Guyane, quand je cherche, je sais qu'il y a beaucoup d'autres choses à dire mais c'est difficile de bien les résumer. Ce qui est certain c'est que la Guyane est une région de la France qui gagne beaucoup à être connue. De par son passé pénitentiaire relativement récent, elle a gardé une mauvaise réputation de pays hostile, juste bon pour y envoyer les gens qui méritent la mort pour leurs crimes. Mais si on cherche bien, déjà il n'y a pas vraiment grand chose de dangereux aujourd'hui même quand on sort en forêt, les accidents les plus fréquents restent les chutes de noix de coco il paraît (donc plus sur la côte). Personnellement je n'ai pas souffert tant de la chaleur non plus, je trouve le climat très supportable, il faut savoir aussi qu'il y a toujours un petit vent constant qui rend l'ardeur du soleil supportable. Et tous les métros qui débarquent de plus en plus nombreux pour profiter d'un poste intéressant et qui découvrent ce beau pays, qui s'installent à Montjoly en colocation près de la plage et qui découvrent chaque fois des fruits différents au marché de Cayenne, ceux là ne me contrediront pas. Je n'ai d'ailleurs, je crois, rencontré que des gens au moins satisfaits d'avoir fait le choix d'y venir, en connaissant l'esprit râleur typique du français, c'est bien une bonne preuve !

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