De Montréal à St-Pierre et Miquelon
du 21 août 2011 au 16 septembre 2011
En débarquant à Montréal à six heures du matin sous la pluie après avoir arpenté une New-York éblouissante pendant une semaine, on a vraiment l’impression d’arriver dans une petite ville toute moche, médiocre sur tous les points.
Y a des gros buildings mais rien d’extraordinaire, y a des vieilles églises, des coupoles, y a le quartier du vieux port, mais encore une fois, rien d’extasiant. Le plus choquant c’est le nombre de clochards et de mendiants, c’est pire qu’à Paris, puis ils sont désagréables, ils traînent partout, ils remuent leurs gobelets de piécettes pour faire du bruit en regardant dans le vide, d’ailleurs, la première personne avec qui j’ai causé à Montréal, c’était un clochard qui s’abritait de la pluie comme moi. Bref, ça donne envie de repartir tout de suite. Enfin, je réserve quand même un lit en dortoir dans une auberge de jeunesse pour trois nuits, et j’ai pas regretté. C’est pas tellement la ville en elle même qui plait à Montréal, une fois qu’on prend contact avec la population, que les bars et les petits restos ouvrent, on se rend compte que la richesse de Montréal c’est ceux qui y habitent. Y a déjà une activité culturelle bien présente, plein de petits concerts, des films projetés en plein air, des restos de tout les genres. Les gens sont très actifs, bougent beaucoup, d’ailleurs tous les québécois que j’ai rencontré en dehors du Québec, c’était des montréalais. Et puis, et c’est peut-être plus une particularité propre au Québec et au Canada tout entier, mais les gens sont vraiment très chaleureux et très serviables. Parfois, il suffit d’être immobilisé trente secondes devant son plan en cherchant des points de repère, et quelqu’un vient te demander si t’as besoin d’aide, en français, en anglais, souvent ils font un petit bout de chemin avec toi quand c’est sur leur route. Aussi, à Montréal, le gros pôle du Québec, on sent bien un cosmopolitisme très riche. Dans les auberges, on croise beaucoup de français et de belges, bien sûr, mais sorti de là y a des immigrants de partout dans le monde. Montréal a un quartier chinois, un quartier latin, et y a des quartiers à majorité anglophone, d’autres à majorité francophone. Bref, en fin de compte ça donne envie de revenir.
Puis je passe une dernière nuit à rôder un peu partout en ville avant de prendre mon bus pour Québec City à cinq heures et demi du matin, je dors pendant le trajet et j’atterris dans une petite ville toute mignonne. On est où ? Je suis quand même pas revenu en France ? Non, c’est Québec. Ah bon. On est toujours en Amérique du Nord alors ?... Si la ville de Montréal est pas terrible, Québec c’est vraiment un petit bijou. D’ailleurs, beaucoup d’américains viennent à Québec pour y voir la France. J’ai discuté avec un new-yorkais un soir en écoutant un petit concert de blues dans un bar type taverne, un peu bas de plafond, vielle charpente tordue. Il en revenait pas, c’était la première fois qu’il venait, il était jamais allé en France, il était complètement sous le charme. Je lui ai quand même bien recommandé de venir à Paris un jour, c’est quand même un autre niveau… Bien sûr c’est très touristique. Le bâtiment emblématique de Québec, le château Frontenac aux allures de château renaissance, aujourd’hui un hôtel, n’as jamais été un château mais un hôtel depuis le début. C’est plein de musiciens de rue, de portraitistes, de jongleurs comiques. Ce qui est sympa aussi, à Montréal comme à Québec, c’est les petites galeries de peinture qui exposent des artistes locaux. J’en ai visité pas mal, en discutant avec le tenancier de la galerie, c’est assez amusant, c’est souvent des mélanges de styles contemporains divers. J’ai vu du Modigliani se marier à merveille avec du Paul Klee, du Kandinsky qui emprunte à Picasso pour laisser imaginer les toits de Paris au lever du soleil, un Cézanne en beaucoup plus fauve et même un peu plus cubiste… Bref, les peintres québécois ont du talent !
Et direction la Gaspésie, parce qu’il faut bien continuer la route, et puis c’est vrai que t’a quand même vite fait le tour de Québec en deux trois jours. C’est parti pour un bus de nuit, première halte : Rimouski ! Pourquoi ? Je sais plus, au fait. C’était peut-être plus pratique au niveau des bus, ou peut-être parce que le nom est marrant, parce que sinon Rimouski c’est assez déprimant. C’est un gros pôle étudiant, je suis tombé dans une auberge pleine de français venus ici pour étudier quelques mois et qui cherchent une colocation toute la journée. Non, y a vraiment rien à voir, puis je me suis tapé la tempête en prime… Valait mieux que se soit ici en fin de compte. En longeant la côte gaspésienne du Nord au Sud en passant par Gaspé à l’Est, on se rend compte que Rimouski n’est pas une exception, même Gaspé, la principale ville de Gaspésie, et même Percé, la grosse attraction touristique qu’on m’a chaudement recommandée un peu partout, c’est quelques maisons au bord de la route, et un petit port parfois, des petits villages sans âme. Heureusement que les gaspésiens, très francophones, gardent cette même « chaleureusité » propre aux québécois.
Non, en Gaspésie, il faut oublier les villes et se tourner complètement vers la nature, là y a du spectacle. Je me suis posé deux nuits à l’auberge festive du Sea Shack à côté de St-Anne des Monts, une auberge très réputée, très nature (on y recommande de ne pas tirer la chasse à chaque fois pour conserver l’eau, ou bien aussi de préférer les douches collectives…), au bord de la mer, à côté du Parc national de Gaspésie (une grande réserve forestière naturelle). Bon, un peu trop « festive » à mon goût, mais très conviviale et bien équipée (le jacuzzi en plein air au bord de la plage, ça tue !). Je comptais en profiter pour faire une virée en canoë afin de voir les baleines qui passent pas loin, puis en fait je suis parti faire une randonnée avec un couple de québécois très sympa, Thierry et Clarys (et leur chien Eyko), qui m’ont proposé de m’emmener avec eux en voiture au parc naturel de la Gaspésie (sinon ça fait assez loin à pied). On a fait le circuit des orignaux, mais bon, on a pas vu d’orignaux, pas de bol, c’était sympa quand même. Puis en rentrant, petit jacuzzi bien chaud sous la pluie, du caviar (!)….
À Percé, beaucoup venaient pour faire un tour sur l’île Bonaventure pour voir les phoques et les colonies de Fous de Bassan, moi j’ai préféré faire une rando sur le mont St-Anne pour économiser mes dollars, c’était pas mal aussi. Puis je me suis fait un petit plaisir : au milieu d’un sentier, je sors du chemin pour suivre une petite rivière en me disant que ça me mènera bien quelque part. Puis la rivière s’atténue, la forêt devient plus dense, puis je suis complètement paumé. Moi qui n’aime pas faire demi-tour, je continue, et au bout d’une heure à me battre avec les branches des arbres bas, à me faire griffer les jambes, à escalader les troncs couchés au sol, je me demande si j’ai quand même pas fait une connerie. Au bout d’une heure supplémentaire, j’en suis convaincu, j’ai été con. Je regarde ma boussole… pourtant je devrais être arrivé par là… Ah mais j’ai peut-être un peu dévié en suivant le flanc de la colline… Mais alors c’est quoi cette falaise en face là-bas…Bon, à tous les coup si je continue encore un peu je devrais retomber sur la côte. Puis en fin de compte, je retombe sur un sentier, complètement à l’opposé de là où je pensais être. Je commence à avoir des doutes sur mon sens de l’orientation infaillible (!). Non, ça doit être ma boussole qui déconne. Enfin, après une bonne douche et un bon repas tu te dis qu’au moins t’a vu du pays, en tout cas je regrette pas.
Bref, j’aurai pas beaucoup vu la mer même si, en lot de consolation, en causant avec l’aubergiste à Percé, je lui dis que je me lèverais peut-être assez tôt le lendemain pour voir le soleil se lever dans l’océan (vu que chez nous, c’est plutôt qu’il se couche dans l’océan), et il me propose de m’embarquer faire un tour en mer sur son bateau de pêche aux aurores. On a pas vu de baleines, ni de phoques, ni de dauphins, ni le soleil se lever (c’était trop brumeux), mais les fous de bassan plongeaient juste à côté de nous pour pêcher, c’était cool.
Après Percé, je me dis que j’en ai marre de la Gaspésie, je prends un ticket pour Cambellton où je passerais la nuit à rôder un peu partout encore une fois en jouant de l’harmonica pour passer le temps quand je trouve un coin tranquille, puis le lendemain un train à la première heure pour Moncton. Dans le train, je recroise une allemande, Johana, que j’avais vu dans une auberge précédente, on sympathise bien pendant le trajet, je m’arrête à Moncton, elle continue jusqu’à Halifax, on se dit qu’on se reverra forcément à l’auberge d’Halifax puisqu’elle y reste deux nuits, puis en fin de compte je la reverrai plus, bizarrement j’aime bien ce genre de rencontres.
Moncton, c’est le gros pôle francophone du Nouveau-Brunswick grâce à l’université francophone. Pourtant, dans les boutiques et les fast-food personne ne parle français, je me dis qu’il faut que je me remette dans le bain, j’avais pas beaucoup parlé anglais depuis New-York. Du coup tout se mélange, à l’auberge de jeunesse, je me surprends en train de traduire en français ce qu’une jeune taïwanaise dit en anglais à un américain qui parle un peu français et qui avait pas compris, à cause de son accent asiatique probablement. Et avec les acadiens qui parlent moitié anglais, moitié français dans la même phrase ça devient très dur. Bref, le lendemain je quitte Moncton, qui a un petit centre-ville assez sympa, mais c’est tout. Le reste, ça donne une impression bizarre, c’est grand, très espacé, et complètement désert. C’est pas du tout piéton, tout le monde se trimballe en voiture, du coup c’est assez impersonnel, et même un peu sordide. Ça donne pas trop envie de rester.
Halifax, c’est tout le contraire. J’ai vraiment beaucoup aimé. Un gros pôle étudiant aussi, très piéton pour le coup, très animé aussi donc, un front de mer bien aménagé, du street food pas cher et bien copieux, du wi-fi gratuit sur les places publiques, et le must : plein de jolies filles partout. Par contre, complètement anglophone, et en arrivant le premier soir, toutes les auberges de jeunesse complètes. Tans pis, il pleut pas, je me dit que je peux bien dormir dehors pour une nuit. Donc je me trimballe avec mon gros sac qui gêne tout le monde dans les bars à concert, et là je rencontre Leo, un anglophone d’Ottawa, accompagné de son oncle John. On sympathise, Leo me raconte qu’il est venu à Halifax pour trouver du boulot, son oncle me confie qu’il s’est engueulé avec sa famille et que c’est pour ça qu’il s’est barré à Halifax. Je leur raconte ma petite histoire, entre les interventions d’une petite blonde toute mignonne qui dansait dans le bar et qui me dit qu’elle m’aime en français, ils me proposent de m’héberger, j’accepte. À trois heures du matin je pose mon sac chez eux, on boit un coup, deux coups, on décide d’aller se commander une pizza, on tourne dans toute la ville, pas une pizzeria d’ouverte, je suis saoul, on tombe sur un McDo et je mange deux double Bigmac d’affilée. On est couché à cinq heures, le lendemain je me réveille tardivement, je me demande où je suis, puis je me rappelle.
On part se promener en ville avec Leo, je dis goodbye and thank you for all à Uncle John, je pose mon sac à l’auberge. Je me rends vite compte que Leo, malgré les apparences, est le type même du mec paumé, alcoolique, piccole dès le matin, pas de travail, toujours chez ses parents à 26 ans, à Halifax c’est son oncle qui l’héberge et qui lui paye tout, l’avant-veille il dormait dans la rue lui aussi et a failli se faire renverser par une voiture. Mais très sympa. C’est le genre de rencontres que j’aime bien aussi en fin de compte.
Je laisse Leo sur le front de mer qui doit aller passer un coup de fil puis je rencontre un belge que j’avais vu à Moncton. Et là, pareil, on commence à parler ensemble en anglais puis on se rend compte au bout d’un moment qu’on est tous les deux francophones, c’est d’avoir passé toute la journée avec un anglophone, j’avais plus le réflexe de parler en français. Leo part se coucher, je traîne pendant deux jours avec Cedric le belge, tout en visitant Halifax, je lui raconte les blagues belges de Coluche en essayant de faire l’accent belge (Pas de Calais ! Ils l’auraient dit avant moi je ne serais pas venu !), il me raconte ses galères de voyages en auto-stop à travers les Etats-Unis et le Canada où il a quelquefois un peu frôlé la mort.
Enfin je pars d’Halifax avec de bons souvenirs, je prends un bus pour North Sydney puis un ferry qui part à minuit et qui arrive à 15h00 à Argentia en Terre Neuve, la plus grande traversée maritime de ma vie. Bon, pas de bol, j’ai guetté mais j’ai encore pas vu de baleines. À St-John, rebelotte, j’arrive là-bas, l’auberge de jeunesse est complète. L’office du tourisme est fermé, tous les hôtels où je frappe sont complets, et à minimum 140 dollars la nuit, je commence à me dire que je vais encore dormir dehors, seulement là il pleuvait un peu. Finalement je tombe sur un couple de français dans la même galère et qui était avec moi dans le ferry, on prend un taxi et on partage une chambre à trois dans un hôtel trouvé à la dernière minute. Ils allaient aussi à St-Pierre et Miquelon, le lendemain on se donne rendez-vous pour aller prendre l’avion en fin d’après midi puis je pars me promener sur un petit sentier au bord de l’océan à la sortie d’un petit quartier bohème sur un flanc de côte, très sympa. St-John a parfois des airs de village scandinave, des maisons en bois toutes colorées, c’est vraiment très joli.
Décollage pour St-Pierre, dans un petit avion à hélice. On se promène un peu dans St-Pierre, on dort à l’auberge, tout est très charmant, les gens sympathiques, mais je sais pas pourquoi, je sens bien que la mentalité des gens est beaucoup plus proche de la France qu’au Québec. Ça et le fait de revoir des billets en euro, ça me fait une petite boule dans le torse, j’ai l’impression d’être revenu à la case départ, je me demande si j’ai bien fait de venir. Bref, on est samedi, ça sert à rien de commencer à chercher du boulot tout de suite, le couple de français, Djamel et Noura, me proposent de venir avec eux sur Miquelon, où ils sont hébergés par une connaissance de Djamel qu’il a connu à une époque où il était venu travailler à Miquelon en tant qu’infirmier. Les traversiers ne partent pas, trop de vent, on prend un avion à hélice encore plus petit que le précédent (huit places assises en tout), Noura est claustrophobe et a peur de l’avion, le pilote nous prévient juste avant de décoller qu’il y a aura des perturbations, l’atterrissage a été folklorique ! Je me promène un peu dans l’île de Miquelon, beaucoup plus vaste et sauvage que St-Pierre, des chevaux partout, des vastes prairies marécageuses, des petites « montagnes ». Je me rends compte que j’ai un nouveau dada, c’est de monter en haut de ces « montagnes », j’appelle ça monter sur un caillou. Chaque fois que je me promène et que j’en vois un, bien haut, je monte dessus, quitte à escalader un peu. Une fois en haut, je me met à l’abri du vent, et puis le silence, y a tellement pas un bruit qu’on dirait qu’il devient présent, un silence à couper au couteau. Je peux rester là-haut pendant des heures à rien faire sans m’apercevoir que le temps passe, isolé du monde, en surplomb comme un chat, je m’y sens bien.
Enfin, lundi je retourne sur St-Pierre. Un livreur de matériaux me dépose à Langlade et je prends un petit traversier qui se fait balader par les vagues comme un petit bouchon. Depuis, je cours sur toute la ville de St-Pierre, je demande des renseignements à droite à gauche, je tape aux portes, je dépose des CV un peu partout, d’abord dans les entreprises de bâtiment qui me disent de rappeler en milieu de semaine prochaine, puis dans les auberges, les boutiques qui demandent du monde, même à la mairie. Je croise les doigts mais si dans une semaine ou deux j’ai rien trouvé, vu le prix que me coûte l’auberge et la nourriture ici, je pense que je mettrai une croix sur mon visa de travail au Canada et que je continuerai le voyage comme ça, en simple touriste.
Voilà tout pour l’instant ! Ça fait quand même du bien d’avoir un peu de temps pour se poser et faire le point. D’ailleurs, c’est amusant, j’ai vraiment une drôle de sensation quand je me replonge dans le passé comme ça. Là, j’ai un peu simplifié en gardant l’essentiel et ce qui me paraissait le plus sympa ou le plus évocateur. Mais, avec toutes les galères, tous les changements de plans, tous les visages des gens que je croise et chacun leur caractère, leur petite histoire personnelle, toutes les villes et les rues visitées, les musées, les galeries, tous les paysages… Bref, tout ça, ça se mélange un peu et j’ai une sorte d’impression de glissement continuel qui surnage. Je vois des visages qui racontent des histoires, puis le visage glisse comme une étiquette qu’on retire, et dessous est un autre visage, une autre histoire. Je vois des mélanges inconcevables de bâtiments et de paysages, qui fondent puis qui deviennent autre chose. Je m’imagine mon destin comme un gros ver de terre qui me glisse tout le temps entre les doigts quand j’essaie de l’attraper, ou alors comme un vague fantôme au loin qui me boude quand j’aurais besoin de son aide et qui me sourit quand je m’y attends pas. Mais la plus grosse impression reste le glissement, comme si je pouvais plus m’accrocher à rien, je peux juste ramer dans une direction, et si le courant veut m’emmener autre part, je peux rien y faire. En plus, je commence à avoir un réflexe qui m’agace : je deviens superstitieux. Parfois quand j’ai le choix de faire une chose ou une autre sans grand intérêt, je pense à des mécaniques occultes qui pourraient influencer le cours de mon avenir proche si je fais une chose plutôt qu’une autre. Comme, par exemple, faire le bien peut porter chance, mais en plus complexe, comme ouvrir une poche de chips à l’arrache plutôt que proprement peut me faire louper ma correspondance. Alors quand ça m’arrive, je me force à penser à autre chose. Enfin, pas la peine de s’inquiéter, je perds pas la tête, elle est toujours bien accrochée sur mes épaules, c’est juste des impressions que j’ai quand je ferme les yeux et que je fais le point. Faudrait y aller dur quand même pour déloger mon esprit cartésien, bien ancré dans le cerveau, depuis le temps qu’il occupe la place !