Long retour en France, de 2013 à 2018
Je viens de relire le dernier article que j’avais écrit après avoir voyagé au Mexique. En fait, aujourd’hui en marchant sur le pont qui relie le centre-ville à mon quartier, j’ai essayé de comprendre ce que je ressens à travers ce vide qui me pèse depuis mon arrivée ici à Vancouver, et je me suis rappelé de ces articles que j’écrivais avant, alors j’ai réalisé que ce serait peut-être une bonne idée d’essayer d’en écrire un sur mon dernier séjour en France, même si c’est chez moi, alors c’est pas très original. Mais le retour au pays est aussi un thème important pour un voyageur après tout, car on a le décalage par rapport à ce qu’on a vécu ailleurs et tout ça…
Du coup, c’était un séjour qui se voulait être plutôt court au départ, puis qui s’est transformé en une longue période de 5 ans. Je relie les dates et c’est assez incroyable, car 5 ans c’est long, mais c’est surtout 5 ans pile. C’est vrai, on est arrivé le 21 juin 2013 et on repart le 20 juin 2018, drôle de coïncidence. Alors on change pas mal en 5 ans, c’est peut-être ça qui me fait bizarre maintenant que je suis de nouveau expatrié, et on pourrait croire que je me rends compte que j’ai vieilli, que c’est plus pour moi le voyage et tout, mais c’est plutôt le contraire en fait, je crois. C’est vrai, j’ai plutôt l’impression que tout ce qui s’était endormi petit à petit en moi depuis 5 ans se réveille d’un coup en ce moment comme une explosion d’envie de bouger, et c’est peut-être ça qui laisse un vide, comme avec le boulot j’ai pas trop le temps de faire tout ce que je voudrais. J’ai un peu la même sensation d’ailleurs que celle que j’avais essayé de décrire à mon arrivée en Guyane, encore une fois sur un pont, celui qui rejoint le Brésil à la France, le pont d’Oïapoque que je suis le premier à avoir franchi à pied.
À cette époque c’était la magie de l’Amérique du Sud que je sentais se dissiper, j’avais déjà la nostalgie de mon moi mochilero, le backpackers européen si enviable, si libre. Là-bas tout était possible, chaque jours une aventure, tout ça, et en Guyane je redevenais un petit sédentaire dans son propre pays. Bien sûr, c’était ma manière négative de voir les choses à ce moment là, car en fin de compte j’ai aussi beaucoup aimé la Guyane et ça a quand même été une aventure en soi, mais en tout cas sur ce pont c’est ce que je ressentais.
Alors, c’est sûr, ça a été complètement différent quand on est arrivés en France avec Juliana, y avait tellement de choses à faire pour le mariage, y avait la famille aussi. En parlant de mariage, je m’imaginais bien que ce serait pas si simple, comme on se méfie des mariages blancs, c’est normal, mais pas à ce point quand même, car au final j’ai plutôt l’impression d’avoir subi un saccage en règle, une sorte de punition pour vouloir me marier avec une non-française. C’est vrai, on a toujours fourni tout les papiers, payé pour les traductions sans broncher, tout, et on a pourtant su qu’on pourrait se marier seulement une semaine avant la fin de son visa temporaire, et elle a aussi quand même dû repartir en Colombie après ça alors qu’y avait aucune raison valable. On nous balade, on nous fait dépenser nos petites économies, on veut nous écoeurer. Les trois heures d’attentes dans la queue devant la préfecture avec nos confrères étrangers, on fini par le ressentir comme une humiliation bien calculée, ça laisse une certaine amertume. Je veux bien qu’on essaye d’éviter les mariages blancs, mais je pense pas que ce soit la bonne méthode, et je suis même certain que c’est de toute façon pas efficace.
Je retrouve donc une France qui s’est repliée sur elle même, quand je suis moi-même encore dans une ambiance de « citoyen du monde », alors c’est dur. Je retrouve aussi une France mollassonne, comme je mets plus de trois mois à décrocher un contrat temporaire pour remplacer une fille enceinte dans un bled paumé à côté de Bergerac. Quand je pense qu’à St-Pierre et Miquelon, une île de six mille habitants, j’ai trouvé en deux semaine, un peu pareil à Buenos Aires où je parlais pourtant pas bien la langue, et en Guyane j’ai même obtenu un entretien d’embauche pour mon futur travail le lendemain de mon arrivée. Bon, le contrat temporaire mène finalement à un plus stable sur un autre poste, mais je trouve quand même ça étrange, d’autant que je me suis pas limité à ma petite région ou quoi, j’ai envoyé des candidature presque partout dans le pays, et j’ai même fait des entretiens jusqu’en Savoie.
Enfin, passons à la critique positive, car au bout de deux ans à bosser je décide d’essayer de changer de carrière, rêve un peu fou au départ, et j’apprends à ma grande surprise qu’il y a des institutions qui existent pour m’aider, alors j’envoie un dossier qui est par chance accepté. On me paye tout, la formation, mon salaire pendant ce temps là, c’est juste parfait ! Je sais bien qu’on cotise pour ça, car rien n’est gratuit finalement, et c’est peut-être aussi ces institutions là qui font la lourdeur du système, pesant sur les épaules de notre économie fatiguée, mais faut aussi avouer que c’est agréable, en tant qu’individu, quand on se sent dans une impasse, qu’on vit mal son travail, de se rendre compte qu’y des choses qui ont été mises en place pour t’aider. En tout cas je suis sûr que si j’en parlais aujourd’hui à l’étranger, de reprendre des études gratuitement en étant payé mon salaire habituel, on me croirait pas.
Pour rester sur le positif, je pourrais parler de la nourriture, le vin, les fromages et tout ça, car c’est sûr qu’en ce qui me concerne je retrouve la seule chose qui vraiment manque quand on est loin de chez soi, la bouffe. Mais Juliana découvre complètement et elle devient vite accro à la raclette, au Cahors. Pendant deux ans à Bergerac on profite du marché autour de l’église qui vend des bon produits locaux, des petits châteaux tout autour qu’on peut visiter pour acheter sur place. De mon côté je me rends aussi compte de la diversité des paysages, des traditions, des gastronomies, pas seulement en France mais aussi dans toute l’Europe, quand je rends visite à mon cousin qui s’installe dans les corbières, ma petite soeur qui part vivre en Finlande, un amie croate qui fait un stage à Tolède en Espagne ou un couple d’amis de Juliana installés à Barcelone, nos vacances en Grèce… C’est vrai, en comparaison avec l’Amérique, beaucoup plus vaste, et surtout exotique pour son métissage avec les modes de vies précolombiens ou africains, je me rends compte que l’Europe est un véritable condensé de pépites culturelles.
Et depuis les cafés pris à Turku, une jolie petite ville à deux heures d’Helsinki en bus, traversant les forêts de bouleau et pin sylvestre, percés de petits lacs paisibles… jusqu’à la feta grillée d’un petit restaurant d’Athènes qu’on aime bien surtout pour le serveur très aimable et chantant les airs de chansons qui passe à la radio, étrangement très proche de la musique du moyen-orient… tout comme les fraises du marché à côté de chez nous, on paye tout avec la même monnaie, l’euro, et ça c’est cool ! Je me souviens de quand je suis parti d’Argentine après y avoir travailler quelques mois, l’échange de monnaie étrangère venait brutalement d’être interdite, alors j’ai dû embarquer toute mes économies en liquide, vu que j’étais payé comme ça, et faire du change directement au Chili, perdant environ 30% de sa valeur au passage. Car là-bas il faut toujours changer en dollar US avant de rechanger ces mêmes dollar dans un autre pays pour pas trop y perdre, c’est bizarre mais c’est comme ça. En plus, comme chaque pays à sa propre monnaie, on se perd complètement dans les prix, vu qu’un euro vaut environ 3000 pesos en Colombie, 5 en Argentine, et 15 au Mexique, on sait plus du tout ce qui est cher et ce qui l’est pas.
Bref, je suis triste de voir que ce beau rêve d’Europe unie dans sa diversité est en train de s’effriter petit à petit, je vis la montée des parti xénophobe en Europe de l’Est, le Brexit, la crise en Grèce, le séparatisme en Catalogne. Et ma petit France est pas en reste, toujours fidèle à son statut d’entre deux, avec son côté anglo-saxon et son fond d’âme latine. Elle sait pas trop si elle doit verser dans la xénophobie ou le fatalisme. J’hésite à prendre part à nouveau à sa vie politique, car je lis l’actualité, bien sûr, mais je vote pas tout de suite. C’est vrai, en quittant la France pour voyager je m’était dis que ce serait plus raisonnable de laisser faire les choix à ceux qui sont restés sur place, pourquoi vouloir décider, moi qui ai abandonné le navire, mais en revenant j’ai aussi du mal à me sentir concerné, moi qui compte repartir. Peut-être aussi que je me considère comme plus vraiment d’ici, seulement un citoyen de passage… si seulement on pouvait l’être dans tout les pays du monde et pas seulement dans celui dans lequel on est né. C’est un peu ça qui me plaît d’ailleurs avec l’Europe, car je me verrais bien partir vivre en Espagne par exemple, vu que je manie bien la langue, j’y ai d’ailleurs sérieusement pensé quand j’ai commencé à chercher du travail en France. C’est vrai, j’aurais pu le faire, très simplement, et j’aurais tout aussi bien pu choisir l’Angleterre à cette époque, mais plus maintenant, c’est dommage.
Enfin, pour en revenir un peu au vif du sujet, aujourd’hui grâce à ma nouvelle formation de boulanger je peux de toute façon très facilement aller travailler à l’étranger, je suis devenu une sorte d’ambassadeur du fleuron de la gastronomie nationale. C’est un peu différent de ce que je faisais avant, c’est à dire que je partais comme ça, et je tentais le coup là où ça me plaisais de rester, alors que maintenant je pars une fois que j’ai trouvé un travail à distance, comme ici au Canada. C’est plus rassurant, surtout quand on voyage en couple, mais aussi un peu moins l’aventure du coup, et je crois que ça me manque un peu. C’est vrai, l’autre jour j’ai vu passer un bus de grande ligne, ceux qui vont de ville en ville, remplaçant les trains quasi inexistants en Amérique, et c’est bête à dire mais ça m’a foutu la haine. En fait, je crois que ce que représentait ce bus c’était un peu l’aléatoire du voyage, le fait d’arriver dans un endroit nouveau et choisir où on va au prochain coup. Je me souviens de ces grands panneaux dans les gares avec toutes les destinations écrites dessus, je me revois parcourir la liste en me disant, tiens, où je vais aller ensuite ? C’est peut-être que j’en ai trop besoin aujourd’hui, même si avec la manière que j’avais de voyager avant je me fermais des portes, comme celle du Canada justement, où j’avais postulé pour un visa en étant pratiquement sur place, à St-Pierre et Miquelon, et j’avais ensuite dû changer mes plans, en partant vers l’Amérique du Sud, comme ça avait pas marché.
J’avais fait ce choix là comme ça, en regardant ma grande carte du monde que je me trimballe partout et que je colle au mur des mes chambres quand je m’arrête assez longtemps. J’aime bien parcourir les lignes des côtes, les grands fleuves, les frontières, et imaginer un parcours logique. Parce que j’ai beau aimer l’aventure, mon voyage a aussi besoin d’être logique à la base. C’est pour ça que j’avais suivi la côte Est des USA avant de parcourir les antilles en m’arrêtant en Jamaïque. Je voulais aussi visiter Cuba mais je trouvais ça bizarre d’aller dans un pays hispanophone à ce moment là, il fallait d’abord que je j’aille au Brésil, suivre encore la côte Est jusque’à la pointe Sud avant de remonter vers le Nord en suivant la côte Ouest cette fois. C’est ce qui était prévu, mais en regardant encore ma carte, où j’ai tracé tout mes trajets en faisant des petits points sur les étapes importantes, je vois qu’au lieu d’aller à Santiago du Chili je suis revenu vers Buenos Aires. Je veux dire, je le sais bien, je me rappelle même précisément ce que je me suis dit en montant dans le bus à Mendoza. Je me suis dit, ça va certainement complètement changer ta vie mec, t’es sûr que tu veux faire ça… et puis j’ai décidé qu’il fallait bien essayer pour savoir.
Voilà où j’en suis maintenant, et qui sait où j’en serais aujourd’hui si j’avais continué vers le Chili comme prévu. Y aurait peut-être beaucoup plus de traits marqués sur ma carte du monde, enfin je m’en fiche un peu de ça, je les vois pas non plus comme des trophées ou quoi, plutôt comme des souvenirs. Et puis, faut dire, je préfère quand même largement voir une zone complètement vide, car ça veux dire qu’il me reste encore beaucoup à découvrir. D’ailleurs mon regard se tourne souvent vers l’Asie en ce moment, prochain terrain de jeux certainement, même si y a une bonne partie des États-unis qui reste vide. La ville de la Nouvelle-Orléans surtout, San-Francisco aussi, c’est des endroits où j’aimerais bien marquer des petits points qui relient mes traits sur la carte, pourquoi pas descendre le Mississippi depuis Chicago pour y aller, avant de partir à l’escalade dans la grande chaine des Rocheuses qui protègera pas longtemps la Californie de ma visite… ça viendra tout ça, j’en suis sûr, assez rapidement faut espérer.
Avec tout ça j’ai pas beaucoup parlé de la France, en revanche j’ai fait un petit album de photos que j’avais certainement jamais partagées, parce qu’au début je m’étais dit que j’en ferais un en repartant, puis avec le temps les photos se sont cumulées, aujourd’hui y en a trop pour faire un album complet, et j’avais aussi fini par en publier vers la fin, c’est pour ça que j’ai retenu que certaines qui me plaisent bien, même si elle sont pas forcément complètement représentative, elle donne une sorte d’ambiance, en tout cas je les ai choisie comme ça, en me demandant ce qui me faisait le plus ressentir ce pays. Je vais quand même essayer de les organiser un peu.
Vu que je sais pas trop quoi dire sur mon propre pays, j’ai demandé à Juliana s’il y avait une chose qu’elle en retenait en particulier, et elle m’a dit que son meilleur souvenir serait certainement ces repas en famille ou entre amis, ces moments où on se retrouve autour d’une table pour profiter de bons petits plats que chacun participe un peu à préparer. Mis à part le plaisir de bien manger, c’est surtout qu’on en profite pour prendre des nouvelles, débattre d’un sujet ou d’un autre. C’est vrai, c’est une chose qui est pas forcément trop courante dans d’autres pays, où on mange souvent chacun dans son coin à toute heure de la journée. De mon côté j’aurais pas pensé à ça, que j’assimile plus au plaisir de retrouver ma famille, mais c’est aussi pour ça que c’est intéressant d’avoir le regard de quelqu’un de l’extérieur. Du coup je vais ajouter quelques photos de ces repas à mon album.
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