Benoît Mennesson

Carnet de voyage…

Cuba

du 26 mars au 10 avril 2013
Souvenir de cette dernière nuit ensemble à Medellin, embrassés l’un à l’autre, baignés dans les larmes et les pensées lourdes, à chaque geste l’un vers l’autre, on se disait que se serait certainement la dernière fois.
Et cet avion qui m’arrache à elle pour m’envoyer loin dans l’Amazonie, où allait finir de s’endormir la magnificence de ce long moment de liberté, de rêves et de folies. Ce voyage en Amérique du sud conçu au pied du phare de St-Pierre en remplacement amer de la perte du visa au Canada. En Guyane, sur le pont de l’Oyapoque, ce long moment de liberté, de découvertes et de rencontres en Amérique latine s’efface et s’envole comme une poudre magique qui se dilue dans l’air et s’éloigne avec le vent. Mais le temps passé en Guyane fait du bien, et un petit retour en France me le confirme, je me rappelle avec quoi je partais ce jour du 13 août 2011 vers New-York, dans la salle d’embarquement de l’aéroport de Roissy, la tête dans les mains je me demandais encore si j’avais fait le bon choix. Ça fait un petit paquet de temps que je suis parti aujourd’hui et je ne déchante pas, j’adore cette vie, le voyage m’apporte tellement !
Alors j’ai fini par l’accepter aussi, on a qu’une vie et c’est pas toujours facile de faire les bons choix, et si on se loupe on n’a pas forcément toujours une deuxième chance. Séparés depuis cinq mois, cette relation née à Buenos Aires dans la légèreté de l’éphémère et grandissant pendant quatre mois dans la naïveté de la curiosité, cette relation qui finit par m’étouffer durant ce voyage ensemble en Colombie et que je voulais oublier rapidement en partant vers la Guyane me hante et m’empêche encore de trouver les autres femmes désirables. Premier de l’an 2013 à Cayenne, seul dans ma chambre de ma colocation, on se reconnaît à peine à travers les images de la webcam, de longs moment à se regarder et s’interroger, et on décide de faire une folie, les bonnes résolutions fusent. On va réessayer et apprendre à voyager ensemble, prêts à faire toutes les démarches pour pouvoir avoir le droit de rester l’un avec l’autre quelque soit le pays qu’on visite.
Le 22 mars qui suit, je m’envole vers Bogota où je retrouve Juliana ; on partira ensemble vers Cuba et Mexico, on tente le pari, et si on gagne, cette relation sera certainement le plus grand cadeau que m’aura offert ce beau et grand voyage en Amérique.
On arrive toujours dans un pays avec un bon gros paquet de préjugés. Cuba est certainement celui qui s’en traine le plus. Beaucoup de ces préjugés s’effacent et d’autres se confirment. Pour moi, le premier qui s’efface est douloureux, Cuba a apparemment ouvert ses portes à la modernité depuis quelques temps et notamment lors du trajet en taxi vers notre habitation, parmi les bonnes vieilles rutilantes Cadillac et Chevrolet comme on en voit qu’ici en aussi grande quantité en circulation, je remarque beaucoup de voitures récentes qui polluent la magie si agréable que dégagent les premières. Enfin, ça ne m’empêche de donner la priorité lors de mes déplacements aux taxis qui roulent en vieux tacots qui puent l’essence, qui font un bruit d’enfer et pour lesquels il faut surtout pas claquer la porte ! Eh oui, j’ai fait la boulette dans un taxi collectif, la grosse honte, j’ai eu peur que les autres portes tombent en claquant la mienne, le chauffeur m’a lancé un regard suffisant pour illustrer l’incompréhension et le mépris entre un pays de stupide consommation et l’autre de contrainte récupération. Pour la petite leçon, il faut doucement amener la porte jusqu’au contact avec la carrosserie puis donner une forte impulsion qui ferme définitivement la porte.
La Havane aussi m’a un peu déçu. D’habitude, dans une ville où la modernité sans âme absorbe tout, un petit immeuble laissé à l’abandon tout vieillot avec des plantes sauvages qui poussent sur les murs m’inspire beaucoup de sympathie. Mais dans un cas où c’est généralisé comme à La Havane, ça m’inspire plutôt l’idée d’un grand gâchis, car il est facile de s’imaginer que ces vieux bâtiments, s’ils étaient un peu entretenus, seraient vraiment superbes et que la ville aurait un autre cachet. Heureusement que le vieux centre, étant très touristique, est un peu épargné, mais c’est toujours dommage que ce soit pour le tourisme qu’on rénove et non pas une initiative naturelle de l’habitant local qui veut que son lieu de vie soit joli, pour lui-même.

Bref, laissons à Cuba ce qui est à Cuba, car ici le temps s’est arrêté, c’est ce que disent tout ceux qui ont visité Cuba, et je l’ai ressenti aussi, c’est vraiment particulier. En passant dans une rue calme, aux vieux bâtiments à moitié écroulés, j’aperçois un vieil homme sur un balconnet, tranquille, avec son béret, sa chemise grisâtre typique et ses grosses lunettes de vues des années 20. Et tout à coup, c’est plus la révolution, ni Fidel, ni les communistes, ni l’embargo, rien de tout ça n’a arrêté le temps à Cuba. C’est ce vieil homme tranquille qui regarde dans le vide au premier étage de ce bâtiment dont la façade faite de poteaux solides recouverts de peintures diverses toutes parties avec le temps, les sculptures et moulures à moitié écroulées et les potelets des balcons qu’un sur trois manquent à l’appel. C’est eux deux, le vieil homme et la façade, qui ont arrêté le temps à Cuba, sous l’autorité coloniale de l’architecture au style perdu dans le passé et de la tranquillité du vieil homme qui la laisse s’écrouler tout en continuant de l’habiter.
On relève rapidement pas mal d’anomalies à Cuba. Dans ce pays qui refuse tout ce qui provient des USA (de moins en moins apparemment, mais bref), on trouve tous les produits typiques des USA et de présence équivalente sur le marché, mais en Made in Cuba : La TuKola (Coca local), el Rapido (McDo local), DiTu Pollo (KFC), les biscuits, les chips, tout y passe en terme de gastronomie par exemple. Concernant les sports, malgré le football, on pratique aussi beaucoup le baseball, même dans la rue avec un bout de bois et un bouchon de bouteille en plastique, à Santiago je revois un terrain de baseball pour la première fois depuis que je suis parti d’Amérique du nord. De la même manière je remarque que le drapeau de Cuba, très présent aussi sur les édifices importants et grandes places, ressemble étrangement à celui des Etats-Unis, sauf que le carré rouge est un triangle, que les bandelettes bleues et blanches sont plus larges, et qu’il n’y a qu’une seule étoile blanche dans le triangle rouge.
Aussi, Cuba étant connue pour être une dictature très oppressante, je n’ai vu que très peu de policiers, de militaires, je ne sais pas du tout où vit le dirigeant du pays alors que dans un pays normal c’est quelque chose de mis en valeur, pas de changements de gardes présidentielles en grandes pompes, et même un détail qui pour moi à son importance, une des avenues principales s’appelle l’avenue des présidents (au pluriel, donc)…

Dans le même sens, pas non plus de photographies gigantesques intempestives ou statues en or massif à l’effigie du chef de l’état historique, j’ai nommé Fidel. Seulement deux ou trois fois je l’ai vu, même pas très ressemblant, au côté de ses confrères : Che Guevara (bien sûr), et … José Marti (?!?). C’est d’ailleurs lui, José Marti, qui remporte de très loin l’oscar du plus grand nombre de statues, ou bustes, ou nom de rues, d’édifices, ou citations peintes sur les murs, etc. Et on découvre, moi et Juliana, qu’on ne sait absolument pas du tout qui c’est ce mec là. Et puis pas d’internet : pas de Wikipédia, on est un peu gênés, on sait pas trop comment les gens le prendrait si on leur posait la question stupide de « Qui c’est José Marti ? » Jusqu’au dernier jour on se précipite sur les petites affiches dans les bars et cafés avec un portrait de ce brave maigrichon aux grandes moustaches, on a une date de naissance et de mort, on sait qu’il a probablement fait la guerre sur un cheval brun, qu’il dit des jolies choses sur la politique mais pas plus. On se fait souvent la blague, à l’occasion quand déjà quelqu’un est plutôt énervé par quelque chose qu’on a dit ou fait mal, par exemple : « Bon, maintenant on peut peut-être lui demander qui c’est José Marti ? » ...

Bien que La Havane soit, de loin, l’endroit le plus agréable à visiter à Cuba, on décide d’aller voir les environs. Départ pour Santiago, tout au Sud-Est, où on nous a dit que la musique était très présente et de bonne qualité. Sur le trajet, je remarque que les banlieues éloignées ne sont pas si moches que ça. Les rues sont propres, les maisons sont modestes, bricolées de partout, mais mignonettes. Les gens se promènent dans les rues, jouent au foot, s’assoient sur les bancs des petites places ombragées pour discuter. Bref, ça pue pas non plus la misère humaine. Pour comparer, je me rappelle des favelas de Salvador de Bahia qui commencent deux heures avant d’entrer dans le centre ville en bus, pour dire la quantité de malheureux, des vallées entières de cases à dormir, et surtout je garde cette image lors d’un court arrêt pour déposer un passager, d’enfants sur un gigantesque tas d’ordures qui apprennent à reconnaître celles qui peuvent être réutilisables ou vendables.
Santiago, deuxième ville de Cuba, tout au sud de l’île, serait un peu l’opposée de l’agréable et belle La Havane. Déjà la ville en elle-même n’est pas si jolie, Les rues sont très étroites et les trottoirs aussi, les voitures et camions fusent même dans le centre, impossible de marcher tranquille, quand on descend vers le centre on se voit réellement entrer dans le nuage épais de pollution que laissent les automobiles (c’est un peu le gros inconvénient des vieux moteurs, ça pollue un max), les pots d’échappement des camions qui servent de transport en commun ici, sont orientés vers la gauche à hauteur de tête et te déchargent littéralement trois litres d’essence carbonisée sous forme de fumée directement dans le naseau quand ils passent, c’est pas très agréable. Bref, à part la musique qui est effectivement assez présente mais en fin de compte même moins qu’à La Havane, c’est pas très intéressant et très désagréable, à déconseiller.
Lors des voyages en bus de ville en ville, j’observe les paysages et me rends compte de la diversité des cultures agricoles. Beaucoup de prairies avec des jolies vaches pas si maigres que ça. De beaux champs aussi, des arboricultures de pommes, bananes, etc. C’est assez compréhensible qu’ici le pays à dû apprendre à être le plus possible autosuffisant, et moi ça me fait plaisir à voir. Aussi, on m’avait dit qu’à Cuba j’allais manger, par exemple, du poulet tout maigre qui n’a jamais mangé que des cailloux durs pour digérer les cailloux mous, et même dans les fast-food pour cubains j’ai mangé du très bon poulet, la viande bovine surtout est souvent très savoureuse et bien tendre, sans parler des produits de la mer bien entendu. J’ai d’ailleurs très bien mangé à Cuba la plupart du temps. Et une chose assez étonnante au départ mais assez agréable, c’est que souvent les restaurants au standing assez élevé ne sont pas forcément beaucoup plus chers qu’un restaurant bas de gamme. Du coup, ça vaut souvent largement le coup de mettre un peu plus pour se faire plaisir et on est pas déçu.
Encore plus au Sud-Est que Santiago : Baracoa. On nous a dit : une plage magnifique, les montagnes qui embrassent ce superbe petit village authentique. On a été un peu déçu, les cubains ont tendance à vendre plus qu’à décrire ou conseiller. On décide de louer deux vélos pour aller se promener dans les environs, une très bonne idée. Sur le chemin, une usine de chocolat, dans les environs, des champs de cacao, de beaux paysages, et une sorte de regroupement des petites maisonnettes campagnardes plus ou moins entretenues mais toujours fleuries et qui sentent bon la vie.
Et c’est l’occasion pour vérifier, au fin fond de ce sentier perdu au milieu des champs de cacao, ce qu’on nous a dit depuis le début à propos de la sécurité à Cuba. Car au début, j’étais un peu perplexe, en voyant les rouleaux de barbelés autour de certaines maisons, quand on nous adit qu’à Cuba on peut se promener de jour comme de nuit sans risques, sans nécessiter de cacher son appareil photo, ni d’éviter certaines rues sombres. C’est d’ailleurs amusant d’observer, quand bêtement on pose la question (compréhensible en Amérique du sud), de savoir si cet endroit dans la ville où on compte aller est dangereux ou pas. Les gens font à cette occasion une tête incroyable comme si on leur demandait s’il n’y avait pas par hasard des risques de radiations nucléaires. Et on a pu effectivement le vérifier, quelque soit l’endroit où on allait, on s’est senti vraiment en sécurité, et en tout les cas, on n’a jamais eu de problèmes.
Mais il y a une chose que les cubains devraient préciser quand ils disent qu’il n’y a aucun risque à Cuba, et donc en tant que touriste, on se dit : aucune raison de se méfier des intentions de qui que ce soit. De plus, c’est une chose que je n’ai observé réellement à cette échelle et avec un savoir faire aussi approfondi, qu’ici à Cuba. Je veux parler des amis et amies de location, sans parler du tourisme sexuel, qui lui aussi est apparemment assez présent, chez les hommes comme chez les femmes, et généralement assez facile à observer avec la différence d’âge des couples concernés. Les amis de locations sont des cubains très sympas (donc dans un premier temps assez difficiles à reconnaître car la grande majorité des cubains sont très sympas), mais qui rapidement deviennent très collants ou insistants. Par la suite, si t’es pas au courant, ou si tu es acheteur, ils viennent boire un coup ou manger au resto avec toi, et c’est toi qui paye tout car ils te conseillent tous les bons endroits sans préciser toujours par ailleurs qu’il viendront avec toi mais qu’ils n’ont malheureusement pas d’argent. Bref, nous on s’en est rendu compte assez vite même si au début on a été naïvement très surpris et on s’est pasfait avoir, mais j’imagine que beaucoup doivent tomber dans le panneau si ce commerce est aussi présent à Cuba dans tout les endroits où on a été, en tout cas on observe beaucoup de touristes accompagnés par des « amigos », et j’ai entendu beaucoup de témoignages. En effet, il n’y a pas un seul jour où un « amigo » vient vers toi en te demandant d’où tu viens pour te faire la conversation, de tous âges et souvent propres sur eux, et en te conseillant un resto ou un petit bar si t’es pas déjà assis à une table… Et c’est dommage mais à la fin on a dû se transformer en gros malpolis en les envoyant promener plus ou moins sèchement quand déjà on faisait l’effort de leur répondre ou de ne pas les ignorer, et du coup peut-être aussi certains qui avaient eux, peut-être, de bonnes intentions.
Enfin, notre dernier jour à La Havane avant de prendre l’avion pour Cancun au Mexique. On se promène une dernière fois sur le malecon (grande esplanade au bord de la mer où les cubains viennent se baigner, pêcher, ou seulement discuter entre amis), et on se demande comment sera ce pays dans 10 ans. C’est vrai, on ressent déjà le changement récent, c’est pas un secret. Raul, qui a repris les rennes laissées par son frère Fidel, est apparemment beaucoup plus tendre et permet des choses qui étaient, il n’y a pas si longtemps taboues : téléphones portables, sortir le soir pour les adolescents. Et il paraît même qu’il serait prêt à faire faire des élections présidentielles. C’est assez classique, la grande bête sauvage qui tenait violemment sa proie dans sa gueule finit par se fatiguer et aujourd’hui la laisse se trémousser, un jour elle s’échappera. Et cette grande bulle dans laquelle est enveloppée Cuba éclatera. Mais cette bulle, qui emprisonnait les cubains hors du temps qui passe et qui les empêchaient de profiter du monde et de la modernité, je crois qu’elle les protégeait aussi beaucoup. Et on ressent bien que quand arriveront les capitaux étrangers, que la productivité et la rentabilité sera la règle, la protection sociale toujours au rabais, les cubains vont avoir du mal à s’adapter. Et on s’imagine facilement la pauvreté s’installer, la sécurité tant agréable à Cuba s’envoler. Et les touristes états-uniens pleins de dollars faciles à gagner pour les amis de location, la drogue et la mafia, la prostitution, toujours plus forte dans un pays tant touristique, la modernité et la consommation irraisonnée, Cuba ne sera plus Cuba mais une destination touristique comme une autre. Naîtront les hôtels avec plage exclusive pour éviter que les touristes ne sortent et se fassent agresser, la police partout dans la ville. Je ne désire que la liberté pour chacun, car c’est aussi une chose que j’aime par dessus tout, mais pas la liberté le ventre vide, obligé à voler ou se prostituer. Et c’est vrai qu’à part certains aspects désagréables, Cuba est pour moi encore aujourd’hui une destination parfaite, le pays est habitué au tourisme et sait recevoir, et surtout c’est un voyage dans le temps, c’est un pays complet et autonome, c’est un pays cultivé, c’est aussi une expérience politique qui se visite. Bref, j’espère que les cubains sauront choisir le bon chemin au moins pour eux, et même pourquoi pas espérons qu’ils nous surprennent encore !


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