des Antilles à São Paulo
du 4 janvier au 17 février 2012
La visite de St-Martin et de la Guadeloupe après la Jamaïque confirme mon impression que les Antilles sont une mosaïque d’îles toutes plus ou moins différentes dans leurs histoires, leurs géographies, leurs populations. La taille joue beaucoup, mais le relief, le fait qu’il y ait de l’eau douce naturelle de rivière, la nature du sol, l’ancien pays colonisateur, l’indépendance, la fin de l’esclavage, etc.
St Martin est une petite île, moitié hollandaise, moitié française, qui n’a pas d’eau douce naturelle. Les colons n’ont donc pas eu intérêt à investir dans les cultures de la terre et n’ont pas eu autant recours à l’importation d’esclaves qu’ailleurs. Aujourd’hui l’économie repose surtout sur le tourisme. Les deux plus grandes villes, Philippsburg (Hollandaise) et Marigot (Française) sont très commerçantes, plus ou moins faussement pittoresques, mais agréables. Il y a aussi un genre de paysage très joli que je n’ai vu qu’ici sur ces collines d’herbes hautes vert tendre parsemées de cactus, de pierres et d’arbres bas.
La Guadeloupe est un archipel magnifique à certains endroits. Et la culture créole fait qu’il y a réellement une âme propre à cette île. Les îles environnantes comme les îles Saintes sont encore une autre pièce de la mosaïque antillaise par son contexte encore différent, où on peut croiser des locaux à la peau claire et aux cheveux longs qui font penser à des descendants de pirates implantés là.
Pour moi c’est surtout l’occasion de faire une pause agréable et familiale dans mon voyage, en me faisant chouchouter par ma mère. Pour recoudre un peu mon sac avant de repartir pour la grande Amérique du Sud, remettre tout au point, souffler, un peu moins de deux semaines que j’ai pas vu passer.
Je sors de l’aéroport à Belém et pas un chauffeur de taxi qui vient m’aborder, déjà une bonne première impression. Et j’ai toujours la même réflexion : j’en reviens pas qu’une ville dont j’avais jamais entendu parler avant de penser à y aller, puisse être si grande.
Belém, c’est vraiment immense, gratte-ciels et tout quoi.
À l’hôtel, je tombe sur un français cool, un globe trotteur de la génération précédente qui connaît bien le Brésil, parle portuguais. On dirait Pierre Richard (Le grand blond avec une chaussure noire) au moment du tournage de Robinson Crusoë et qui te dit « No soucy » comme dans Le Cactus. Il m’emmène dans les bons coins de Belém, les bars à concerts, les petits restos pas cher et bien goûtus, il m’explique plein de trucs sur le Brésil, puis vu que le courant passe bien, on part ensemble à Sao Luis le lendemain.
Ma première nuit au Brésil, je me fais attaquer par une horde de moustiques alors que je viens de m’endormir. Je me réveille avec un dos plein de bosses et de cratères, j’arrive plus à arrêter de me gratter. Du coup je suis toujours en train de me tordre dans tous les sens quand les deux brésiliennes qui partageaient ma chambre débarquent en rentrant de boîte de nuit. Pas froid aux yeux, elles se déshabillent tranquillement en m’expliquant qu’elles ont bien dansé, je suis gentleman, je me retourne. Elles voient le chantier et s’assoient sur mon lit en me caressant le dos, puis en me caressant les cheveux, et j’ai pas compris ce qu’elles disaient mais la langue brésilienne est si douce que ça pouvait être n’importe quoi, c’était joli à entendre.
De Belém à Salvador de Bahia, je suis la côte en prenant des bus de nuit, je m’arrête dans des villes étapes comme Sao Luis, Fortaleza et Récife. Certaines sont intéressantes pour leurs vieux quartiers comme Sao Luis et Olinda à côté de Récife. D’autres pour leurs plages, comme Fortaleza, le Miami brésilien, ou Salvador de Bahia. J’ai beaucoup aimé Récife et Fortaleza pour leurs quartiers de commerces, la vie grouillante. J’aime énormément ces vieux bâtiments, coloniaux ou plus récent, délabrés, où les arbres poussent à l’intérieur ou sur les toits, sortent par les fenêtres, pour moi ce sont des petits bijoux. Ainsi ces villes sont des trésors, et la côte Est, de Belém à Salvador de Bahia, est comme un collier de perles dont la côte serait le fil.
A Sao Luis, j’arrive pendant les préparatifs du carnaval. Je sors le soir avec des amis de l’auberge, italiens, hollandais, anglais, on fait le tour des concerts, des groupes de danse qui passent d’un endroit à un autre et je finis en suivant la bicycletta. La bicycletta, c’est une institution à Sao Luis, c’est une bicyclette, sur laquelle sont posés deux grands amplis, il y a un mec qui pousse la bicyclette, un mec qui chante dans le micro, quelques trompettistes qui improvisent de temps en temps, des gens déguisés qui dansent autour, et pleins de badauds qui suivent le mouvement. On fait le tour de la vieille ville au son de la chanson de la bicycletta, toujours la même sur tout le trajet, le lendemain tu l’as encore dans la tête pour un bout de temps.
Juste avant d’arriver dans une ville, une demi-heure ou une heure avant même parfois, on commence à voir les favelas. Bien sûr on sait que ça existe, on en a entendu parler, mais pas à se douter de l’échelle. Des montagnes, des collines, des énormes étendues remplies de ses petites maisons, entre le bidonville et la maison de fortune, très collées entre elles, assez colorées. Et je me rappelle cette scène, alors que le bus s’était arrêté pour faire descendre des passagers, un gars dans un tas d’ordure qui montre à deux gamins comment reconnaître le déchet qu’il est possible de réutiliser ou de revendre.
Fortaleza et Récife sont des grandes villes pas forcément trop intéressantes au niveau de l’architecture et de l’histoire, mais j’ai bien aimé quand même. Ce sont des villes vivantes, surtout les quartiers de commerces, où on peut manger plein de bons trucs, s’asseoir sur une place, se sentir être personne en particulier, se laisser aller à une pensée de l’instant, revoir un souvenir d’enfance, puis se rendre à la réalité tranquillement car une personne te demande l’heure ou essaye de faire la conversation, et je réalise que je suis Brésil, c’est juste trop bien, je suis au Brésil à l’instant !
Après l’Amérique du Nord, encore très séparée entre blancs et noirs, la Jamaïque presque uniquement noire ou on se sent parfois un peu trop être un blanc, je suis heureux de voir la population extrêmement métissée du Brésil. Je m’y sens plus à l’aise. Dans le Nord, l’influence des gènes amérindiens est plus forte, du côté de Salvador, il y a plus de population issues de l’esclavage, dans le Sud, plus de type européen, mais en voyant une personne dans la rue, on peut presque jamais lui donner un type uniquement africain, amérindien ou européen. Et le résultat, je me rappellerai toujours du visage de ces filles, la peau marron-rouge, les yeux verts, le visage fin au caractère épicé, les lèvres rose tendre, les cheveux très noirs, raide ou mi-crêpu, au reflets bruns ou roux.
Quand je rencontre Catherine, une petite Suédoise au sourire magnifique, dans le bus de Récife à Salvador, je m’étais pas encore baigné une seule fois au Brésil, en quatre jours passés ensemble, je vais battre mon record de toute l’année dernière. C’est vrai qu’on avait pas trop la même façon de voyager, mais elle était adorable, j’ai passé quatre jours sur un petit nuage, et je l’ai suivie à Itacaré, une petite ville bordée de plages, pour ses beaux yeux bleus, j’avais pas trop prévu d’aller là bas, je l’ai suivie un peu trop longtemps, mais il faut dire qu’elle avait de très beaux yeux. En partant d’Itacaré, dans mon bus pour Rio, je déprime.
Salvador de Bahia, une ville mythique, la Rome noire du Brésil, pendant longtemps capitale du pays, j’ai été un peu déçu. Pour ceux qui viennent au Brésil pour la première fois et qui ne restent qu’ici, c’est un bon plan, car le vieux centre est pas mal et les plages sont bien aussi. C’est un peu un résumé de ce que j’ai vu jusqu’ici dans ces villes de la côte du Nord Est, mais en moins bien, et c’est surtout très touristique. Je parle pas trop de la cuisine Brésilienne, car c’est pas trop intéressant, en tout cas ce que j’en ai vu, en revanche ce qu’il y a de génial c’est les fruits, les jus, les vitaminas qui sont des sortes de milk-shake au fruits, et les açaï na tigela. Tout ces fruits qu’on ignore en Europe, l’acerola très riche en vitamines C, l’açaï aux vertus médicinales et au goût étrange mêlé de fruits rouges, de raisins, … et de sang. (Le goût de sang, c’est mon opinion, tous les autres qui ont goûté m’ont regardé d’un air écoeuré quand je leur ai dit ça).
Et j’arrive à Rio. Rio, j’aime tout de suite, l’atmosphère de liberté me rappelle Paris, les grands bâtiments et le contraste incontrôlé c’est New-York, les quartiers de plages d’Ipanema et Copacabana c’est Miami.
Elle arrive directement dans mon Top 3 des plus belles villes du monde, avec New-York et Paris. Et Rio a bien sûr quelque chose de bien à elle, en plus du carnaval bien sûr, c’est ces sortes de montagnes comme le pain de sucre, elles s’effacent dans le ciel bleu avec la distance, qui donnent une impression d’irréalité, d’intemporalité, c’est magnifique.
Une dernière chose importante à dire à propos de Rio, c’est la gentillesse tranquille des locaux, ça me rappelle le Québec. Je sors mon plan à Botafogo, le quartier de mon auberge, et on me demande où je vais pour me donner la direction. Ou dans le métro, je parle en français mixé d’anglais, un autre me répond en portugais mixé d’espagnol, on fait un bout de chemin ensemble, lui allait faire du tennis à Ipanema, il me montre le chemin de la plage.
On fait une sortie de groupe avec les motivés de l’auberge du Rio Nature Hostel. Moi, au début j’étais pas motivé, j’avais pas beaucoup dormi dans mon bus la veille, je m’étais pas douché depuis deux jours, puis après quelques bières… On se retrouve dans le Quartier de Lapa, juste en dessous du Centre, c’est une night party, il y a un peuple inimaginable, de la musique partout, c’est un des rares moments ou j’ai eu du plaisir à danser, dans les boîtes de nuits bondées, dans la rue. Je rencontre beaucoup de Brésiliens, ils parlent pas trop anglais mais on se comprend, avec les gestes des mains principalement. Et je me retrouve avec une petite mexicaine de l’auberge dans les bras, encore une dont j’aurais du mal à me séparer.
C’est vrai, ça commence à m’inquiéter, que ce soit des hommes ou des femmes, des amitiés ou des aventures, j’ai de plus en plus de mal à me séparer des gens que je rencontre, avec qui je fais un bout de route. Jusqu’ici dans mon voyage, mes voyages antérieurs, et même à Paris, j’avais préféré mes rencontres éphémères, sans avenirs, sans intérêt, sans échange de prénoms. Je voulais juste être un fantôme, qui rencontre d’autres fantômes, dans un monde grand et beau, une vie de jouissances superficielles… Peut être que je suis en train de vieillir, ou peut être que je deviens normal, mais ça je veux pas en entendre parler pour l’instant.
En France, Paris est le cœur du pays, son centre économique et sa capitale politique. Au Brésil, Rio est le cœur du Pays, Sao Paulo son centre économique, et Brasilia sa capitale politique. J’avais entendu parler de Brasilia comme une ville qui, même si on aime pas, ne laisse pas indifférent, une architecture d’avant garde, une ville en forme d’avion. Je m’attendais à débarquer dans une ville extra-terrestres. En fait, il y a deux ou trois bâtiments qui sortent de l’ordinaire, et surtout la cathédrale. De rentrer dans la couronne d’épine géante faite de béton, arriver dans un espace qui a l’air de s’élever vers le ciel, se baigner dans la lumière des vitraux qui remplissent le vide entre les épines et se diriger vers le centre ou trois petits anges, de tailles différentes pour donner une impression de profondeur, qui ont l’air de vouloir te donner la main. Ça c’est de l’art, de l’architecture, et ça ça vaut le détour, d’autant que j’ai eu la chance de débarquer alors qu’il n’y avait personne à l’intérieur. Mais le reste est très standard, les rues sont très larges, c’est mal aménagé pour les piétons, et en fin de compte c’est pas assez bizarre, c’est surtout très déprimant.
Et j’ai bien déprimé à Brasilia. Je sais pas si c’est parce que c’était le premier jour nuageux que j’avais depuis … un bout de temps, peut être depuis Montréal. J’ai même mis un pull, brrr. Mais oui, ça a été dur. Je sais pas trop comment décrire, c’est sûrement lié à cette histoire d’attachement, et aussi toujours la même impression de ne rien contrôler, de ne jamais savoir où je serais le lendemain, c’est parfois difficile. Je savais plus du tout de quoi j’avais envie, d’avancer, de rester sur place, de revenir en arrière. Je revois le soleil de Salvador et le sourire de ma suédoise, je revois les rues grouillantes de Belém et je me rappelle les fous rires avec mon ami français, j’entends la musique de la night party à Rio et je sens les lèvres de ma mexicaine. J’ai l’impression de prendre une drogue trop forte, et c’est la première fois que je me demande si je suis vraiment à la hauteur. Le tour du Monde, c’est facile d’acheter un billet d’avion, un ticket de bus, ce qui est dur c’est de faire une croix sur ce que t’as vécu, de te dire que c’est fini, d’abandonner le présent au passé, pour toujours.
Mais à Sao Paulo, ça va un peu mieux. Je retrouve ma colocataire de St Pierre et Miquelon qui me rejoint pour faire un bout de route de quelques mois. Ça sera peut-être plus facile de voyager à deux, d’avoir quelqu’un sur qui compter, ce sera peut-être un boulet, j’en sais rien. Et elle a un ami brésilien très sympa à Sao Paulo, Victor, qui nous fait visiter la ville, qui nous donne des tuyaux, et qui nous convainc de retourner à Rio pour le Carnaval. Donc c’est décidé, je serais à Rio pour le carnaval, au moins pour deux nuits, puis Ouro Preto un peu plus au nord, pour une nuit, normalement.
Sao Paulo fait penser à la ville du film Métropolis de Fritz Lang. Il y a un flot de population extraordinaire, des bâtiments gigantesques et étranges, des larges avenues piétonnes qui coulent en dessous d’une bretelle d’autoroutes, des choses comme ça, beaucoup de gens louches aussi. Mais j’aime beaucoup, je pense pas que j’aimerais y vivre, mais je suis content d’avoir vu ça.
Une dernière chose, à propos des graffitis. Depuis Belém, j’avais remarqué certains graffitis pas trop mal, puis en faisant plus attention, j’en vois des vraiment beaux, originaux, et même qui ont du sens parfois. J’en ai pris plusieurs en photo, mais malheureusement les meilleurs que j’ai vu c’était pendant les trajets en bus, alors pas le temps de dégainer, mais c’est là qu’on voit les plus magistraux. Pour moi, certains d’entre eux sont vraiment des œuvres d’art, je propose même qu’on les encadre.